Réemploi des éléments de scénographie et règlementation ERP : le défi juridique du secteur de la culture

Réemploi des éléments de scénographie et règlementation ERP : le défi juridique du secteur de la culture

ERP réemploi scénographie

La transition vers l’économie circulaire du secteur de la culture s’accélère, avec une part croissante de réemploi des éléments de scénographie (matériaux mais aussi éléments d’aménagement ou de décoration et mobiliers). On rappellera notamment le projet de décret AGEC qui devrait être prochainement publié et qui augmente la part de mobiliers de scénographie de réemploi à acquérir pour l’Etat et les collectivités (lire notre article sur le sujet en cliquant ici).

Mais cette accélération est aujourd’hui freinée par des considérations techniques, logistiques, économiques mais aussi juridiques.

L’un des freins majeurs à la massification du réemploi des éléments de scénographie est aujourd’hui sans contester la réglementation ERP (établissements recevant du public).

Les obligations qu’elle fixe, mais aussi les responsabilités qu’elle implique sont problématiques à plus d’un titre :

  • Cette réglementation est complexe et difficile à s’approprier pour les acteurs de la culture et de l’économie circulaire ;
  • Cette réglementation a été conçue dans le contexte des années 1980, pour une chaîne d’approvisionnement relevant de l’économie linéaire, difficilement transposable avec les nouvelles filières circulaires.

Cet article vise à clarifier pour partie ces enjeux, pour permettre aux acteurs concernés de travailler à lever ce frein. Nous y traiterons des points suivants :

  • 1 – Règlementation ERP – Quelles obligations s’agissant des matériaux et éléments mis en œuvre ?
  • 2 – Quelles possibilités de recourir aux mesures de compensation dans le cadre du réemploi de matériaux et éléments ?
  • 3 – Qui serait responsable en cas d’accident impliquant les matériaux de réemploi ?

1 – Règlementation ERP – Quelles obligations s’agissant des matériaux et éléments mis en œuvre ?

Toutes les règles sont destinées à assurer la sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP)[1]. Ces mesures ont pour but d’assurer la sécurité des personnes, de favoriser l’alerte et l’intervention des secours et de limiter les pertes matérielles.

Parmi ces règles, il est notamment prévu que « Les matériaux et les éléments de construction employés tant pour les bâtiments et locaux que pour les aménagements intérieurs doivent présenter, en ce qui concerne leur comportement au feu, des qualités de réaction[2] et de résistance[3] appropriées aux risques courus. La qualité de ces matériaux et éléments fait l’objet d’essais et de vérifications en rapport avec l’utilisation à laquelle ces matériaux et éléments sont destinés. Les constructeurs, propriétaires, installateurs et exploitants sont tenus de s’assurer que ces essais et vérifications ont eu lieu[4]. ».

Or ces qualités de réaction et de résistance sont déterminées en fonction d’une multitude de facteurs, parmi lesquels :

  • Le type d’ERP selon son activité[5] ;
  • La catégorie d’ERP selon le nombre de personnes pouvant y être admises[6] ;
  • Les dimensions, la conception et le mode de construction des locaux ;
  • L’occupation partielle ou totale d’un bâtiment par l’ERP ;
  • L’occupation de plusieurs locaux par un ERP unique ou l’occupation multiple d’un local ou bâtiment par plusieurs ERP ;
  • La distance et l’isolement des locaux accueillant l’ERP par rapports aux bâtiments voisins ;
  • La nature des matériaux employés ;
  • La destination des matériaux employés : usage de construction ou d’aménagement et de décoration ;
  • La possibilité donnée au public de se soustraire aux effets d’un incendie.

Que l’on soit clairs… il est donc pratiquement impossible d’inventorier les critères de classement au feu par matériaux ou famille de matériaux, le règlement de sécurité[7] dans les ERP prévoyant des mesures selon la variabilité et la combinaison de ces facteurs.

2 – Quelles possibilités de recourir aux mesures de compensation ou d’adaptation dans le cadre du réemploi de matériaux ou éléments ?

En pratique les matériaux de réemploi induisent deux principaux risques :

  • Une incertitude sur leur qualité de réaction au feu au regard de l’absence de documentation ;
  • Une incertitude sur le maintien des performances évaluées dans le cadre des essais réalisés lors de leur mise sur le marché initiale dans le cadre de leur nouvel emploi, selon la durée de vie précédente et les éventuelles modifications subies.

Pour réduire ces deux risques, le recours à des mesures de compensation semble une solution adéquate, permettant d’éviter la réalisation de nouveaux essais ou l’exclusion de tout réemploi.

Or il existe deux types de mesures de « compensation » lorsqu’une exigence du règlement de sécurité ne peut être satisfaite :

Les mesures de « compensation » prévues par le règlement : elles sont spécifiques à chaque hypothèses … et sont impossibles à recenser ;

Les mesures d’adaptation, notamment en atténuation permettant de recourir à des mesures de compensation, qui peuvent être décidées, soit par l’autorité chargée de la délivrance du permis de construire, soit par l’autorité de police dans les autres cas, et après avis de la commission de sécurité compétente[8]. Ces mesures ne sont donc pas directement prévues par le règlement de sécurité, mais sont décidées au cas par cas.

Au vu de la rédaction actuelle du règlement ERP, force est donc de constater que le recours aux mesures de compensation reste selon nous une stratégie « au cas par cas » et non une solution généralisable pour tous les recours aux matériaux de réemploi.

3 – Qui est responsable en cas d’accident ?

L’introduction de matériaux de réemploi interroge généralement de nombreux acteurs sur leur responsabilité, notamment en cas d’accident.

On rappellera que le réemploi ne crée pourtant pas de régime de responsabilité particulier (puisqu’il n’y a pas de responsabilité « déchet »), et s’inscrit donc dans le cadre de la responsabilité classique.

Il induit en revanche selon les cas des « risques » supplémentaires de survenue d’un dommage, puisqu’il peut introduire de l’aléa (puisque la performance d’un matériau d’occasion peut varier en fonction de son historique et de son processus de préparation au réemploi), et que les fournisseurs n’apportent pas les mêmes informations et garanties que les professionnels qui commercialisent des produits neufs[9].

De manière générale, retenez que :

  • Les différentes obligations de sécurité pèsent à la fois sur les constructeurs (en cas de bâtiment neuf), les propriétaires et les exploitants d’ERP[10] ;
  • Chaque acteur est responsable en cas de manquement à une obligation qui lui est imposée par le règlement de sécurité dans les ERP – il conviendra de regarder pour chaque type d’ERP les obligations spécifiques des différents intervenants s’agissant du contrôle et de la vérification des matériaux[11] ;
  • Le contrôle exercé par l’administration ou par les commissions de sécurité ne dégage pas les exploitants des responsabilités qui leur incombent personnellement[12].

En cas de manquement, les acteurs concernés s’exposent à trois types de responsabilités :

  • Responsabilité administrative[13] : le Maire ou le Préfet peut prendre différentes sanctions en cas de méconnaissance aux règles de sécurité (mise en demeure, travaux de mise en conformité, fermeture de l’établissement, astreinte, amende) … Ces sanctions peuvent être prises par l’administration alors même qu’il n’y a ni dommages ni accidents. Dans tous les cas, ces mesures ne peuvent être prononcées qu’à l’encontre de l’exploitant ou du propriétaire.
  • Responsabilité pénale : le code de la construction et de l’habitation prévoit des contraventions et des délits en cas de méconnaissance de certaines obligations de la réglementation ERP.

En outre, en cas de manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée notamment par la réglementation ERP[14] causant involontairement des blessures à autrui[15] ou conduisant à son décès[16], ou exposant autrui à un danger[17], la responsabilité pénale de toutes les personnes physiques et morales (cumulativement) en cause pourra être recherchée.

  • Enfin, la responsabilité contractuelle et délictuelle des intervenants pourra être recherchée en cas de faute, et de préjudices (matériels, financiers, corporels, moraux…) en résultant. En principe c’est la responsabilité des personnes morales qui sera recherchée et non la responsabilité individuelle des différents intervenants.    

Pour limiter les risques en termes de responsabilité, il est indispensable :

  • De déterminer qui est responsable de la vérification et du contrôle des matériaux dans le cadre de chaque opération / évènement au regard du règlement ERP ;
    • De bénéficier de contrats adaptés pour définir le rôle et la mission des différents intervenants ;
    • De privilégier les matériaux les moins risqués (propriétés intrinsèques ou exigences de résistance et de réaction au feu limitées).

Des questions sur cet article ? Besoin d’être accompagné(e) sur ce sujet ?

Contactez-nous en cliquant ici !


[1] Et codifiées aux articles R.143-1 à R.143-47 du code de la construction et de l’habitation.

[2] La réaction ou classement au feu correspond au comportement que va avoir un matériau isolant face aux flammes, c’est-à-dire sa capacité à alimenter un incendie, ainsi qu’à favoriser son développement.

[3] La résistance au feu correspond au temps que va mettre un matériau avant d’être détruit à cause du feu. C’est-à-dire la durée pendant laquelle il conserve ses propriétés physiques et mécaniques.

[4] Article R143-5 du code de la construction et de l’habitation.

[5] Les ERP sont classés en types, selon la nature de leur exploitation (art. GN1 du règlement de sécurité). Le règlement de sécurité prévoit des mesures propres à certains de ces types d’ERP, notamment les espaces scéniques, les musées, les salles à usage de spectacle et les salles d’exposition.

[6] On distingue cinq catégories (article R.143-19 CCH).

[7] Arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP).

[8] Article R.143-13 CCH.

[9] A noter que du côté du fournisseur des matériaux et éléments de scénographie : celui-ci est tenu de la responsabilité du vendeur et donc responsable des dommages causés par le matériau en cas de vices cachés et de non-conformité à ce qui a été convenu avec l’acheteur. Il est également responsable en cas de manquement à son obligation d’information et de conseil. La responsabilité du vendeur peut être aménagée, réduite et limitée contractuellement (la rédaction de CGV semble notamment indispensable ici).

[10] Article. R143-3 CCH.

[11] Exemple 1 : pour les établissements des 4 premières catégories, le règlement de sécurité dans les ERP prévoit l’intervention d’un vérificateur à l’occasion de travaux, et celui-ci est chargé d’examiner des « justificatifs fournis (procès-verbaux de classement de comportement au feu des matériaux et éléments de construction, attestations de conformité, certificats de conformité, plans et schémas, notes de calcul, etc.) » relatifs aux matériaux (art. GE 8) ;

Exemple 2 : pour les salles d’exposition (catégories 1 à 4), l’article T 8 prévoit que : « l’exposant ou son mandataire qualifié (..) doit tenir à la disposition des membres de la commission tout renseignement concernant les installations et les matériaux visés à l’article T. 21, sauf pour ceux faisant l’objet d’une marque de qualité. ».

[12] CAA Paris, 15 déc. 1998, Mutuelle Saint-Christophe, n° 96PA02546 et article R. 143-34 CCH.

[13] Article L143-3 du CCH.

[14] Article 121-3 du code pénal.

[15] Article 222-19 du code pénal.

[16] Article 221-6 code pénal.

[17] Article 223-1 code pénal.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *