Interdiction de destruction et don des invendus : comment le nouveau règlement européen sur l’écoconception pourrait changer la donne ?
Le projet de nouveau règlement européen sur l’écoconception pour des produits durables, proposé par la Commission européenne le 30 mars 2022 prévoit trois principales mesures :
- L’établissement d’un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception pour tous les produits (sauf exception) ;
- La création d’un passeport numérique de produit ;
- Et l’interdiction de la destruction de produits de consommation invendus.
Focus sur cette dernière mesure, et ce qu’elle pourrait changer par rapport au cadre juridique français.
1 – L’interdiction de destruction des invendus – rappel du cadre juridique en France
Aujourd’hui, le code de l’environnement prévoit un ensemble de mesures pour lutter contre la destruction des invendus dans une sous-section dédiée « Lutte pour le réemploi et contre le gaspillage »[1].
Ce dispositif de lutte contre la destruction des invendus s’est construit par étape, et a débuté par les produits alimentaires[2].
C’est la loi AGEC[3] qui est ensuite venue consacrer en 2020 l’interdiction de destruction des invendus non alimentaires et définir les obligations des acteurs économiques.
L’article L541-15-8 du code de l’environnement prévoit le dispositif suivant :
Les producteurs, importateurs et distributeurs de produits non alimentaires neufs destinés à la vente sont tenus, dans l’ordre :
- De réemployer ;
- De réutiliser ;
- Ou de recycler leurs invendus.
Ils sont notamment tenus de privilégier le don des produits de première nécessité[4] (notamment hygiène et puériculture) à des associations de lutte contre la précarité et des structures de l’économie sociale et solidaire ESS bénéficiant de l’agrément “ESUS”.
Des exceptions sont prévues (pour des questions de sécurité des produits, de protection de la santé ou de contraintes techniques et économiques), et l’obligation fait l’objet d’une entrée en vigueur progressive :
1° Le 1er janvier 2022 pour les produits soumis à un principe de responsabilité élargie du producteur avant le 11 février 2020 (équipements électriques et électroniques par exemple), pour les produits d’hygiène et de puériculture et pour les équipements de conservation et de cuisson des aliments, les produits d’éveil et de loisirs ainsi que les livres et les fournitures scolaires ;
2° Le 31 décembre 2023 pour les autres produits.
Les sanctions en cas de méconnaissance de cette obligation sont les suivantes :
- Une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale ;
- La décision prononçant l’amende peut ordonner la publication de cette décision par voie de presse, électronique ou par voie d’affichage (ou les trois)[5].
2 – Ce que prévoit le projet de règlement : une obligation de transparence et de publicité des opérateurs économiques sur la gestion des invendus
L’article 20 du projet de règlement prévoit un double dispositif :
- Une obligation générale de transparence pour les opérateurs économiques qui mettent au rebut des produits de consommation invendus ;
- La possibilité pour la Commission européenne d’adopter des actes délégués visant à interdire aux opérateurs économiques de détruire des produits de consommation invendus (avec des possibles dérogations pour des raisons de sécurité notamment).
Si le second volet n’apporterait pas d’évolution majeure par rapport au droit français, l’obligation générale de transparence serait une petite révolution.
Tous les opérateurs économiques, c’est-à-dire les fabricants, mandataires, importateurs, distributeurs, revendeurs et les prestataires de services d’exécution de commandes devraient indiquer annuellement :
- Le type ou la catégorie de produits de consommation mis au rebut ;
- Les raisons de leur mise au rebut ;
- Et leur livraison en vue d’opérations ultérieures de traitement des déchets (concrètement à qui ils sont remis et si c’est pour du réemploi, du recyclage ou autre).
Le texte prévoit que les opérateurs économiques devront publier ces informations sur un site internet librement accessible ou les mettre à la disposition du public d’une autre manière.
A ce jour l’intention de la Commission est de laisser les entreprises libres de déterminer la manière de publier ces informations, afin d’opter pour la manière adaptée à leur environnement commercial. Elles devront en tous les cas être publiques et accessibles.
Le projet de texte prévoit par exemple que le fait d’inclure les informations requises dans le rapport de durabilité obligatoire pour certaines entreprises au titre de la Directive CSRD[6] (Corporate Sustainability Reporting Directive) devrait être considéré comme une bonne pratique, le cas échéant.
Cette obligation de transparence portera sur tous les produits de consommation invendus non alimentaires[7], à l’instar des appareils électroniques, des articles textiles ou des chaussures.
Par ailleurs, cette obligation de publication sera renforcée lorsqu’un un acte délégué fixera une interdiction de destruction des invendus pour certains types de produits.
Dans cette hypothèse, en cas de destruction de ce type de produits, l’entreprise devra publier :
- Le nombre de produits de consommation invendus qui sont détruits ;
- Les raisons de leur destruction, en mentionnant la dérogation applicable ;
- La destination des produits détruits afin d’indiquer s’ils ont fait l’objet d’opérations de recyclage, de valorisation énergétique et d’élimination et de vérifier que cette destination est conforme à la hiérarchie des modes de traitement des déchets définie à l’article 4 de la Directive 2008/98/CE.
L’acte délégué pourra alors prévoir les particularités et le format de publication des informations.
3 – Les PME exemptées en principe
On notera que les seuls acteurs économiques exemptés à ce stade de l’obligation de publication seront les PME.
Néanmoins, le projet de texte prévoit qu’un acte délégué pourra soumettre à l’obligation de publication dans les cas suivants :
- Les entreprises moyennes, lorsqu’il existe des preuves suffisantes du fait qu’elles sont à l’origine de la destruction d’une proportion substantielle de produits de consommation invendus ;
- Les microentreprises, petites entreprises ou moyennes entreprises, lorsqu’il existe des preuves suffisantes du fait que celles-ci sont susceptibles d’être utilisées pour contourner l’obligation de publication.
Vous l’aurez compris, cette nouvelle obligation de publicité des pratiques de gaspillage permettra aux citoyens de bénéficier d’une meilleure information, aux entreprises d’améliorer leurs efforts de circularité (pour ne pas endommager leur image), et aux pouvoirs publics de mieux contrôler le respect des réglementations en faveur du réemploi.
4 – Et c’est pour quand ?
Pas pour tout de suite !
Impossible aujourd’hui de faire des pronostics sur la date d’adoption, mais au mieux il est possible d’espérer une entrée en vigueur en 2024.
On vous résume en une image les étapes clefs pour l’adoption de ce règlement et là où on en est aujourd’hui 👇
[1] Articles L541-15-3 à L541-15-17 et Articles D541-310 à D541-364 du code de l’environnement.
[2] Loi n°2016-138 du 11/02/2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, dite loi Garot.
[3] Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, article 35.
[4] Article 238 bis CGI : Fournitures scolaires, de vêtements, couvertures et duvets, de produits sanitaires, d’hygiène bucco-dentaire et corporelle, de produits de protection hygiénique féminine, de couches pour nourrissons, de produits et matériels utilisés pour l’incontinence et de produits contraceptifs.
[5] Articles L522-6 et R522-3 du code de la consommation.
[6] Directive (EU) 2022/2464 CSRD, Corporate Sustainability Reporting Directive, article 19 bis.
[7] A l’exception également des médicaments, des plantes ou encore des animaux.
Une réponse
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