Transferts de déchets : qu’est-il prévu pour le réemploi dans la nouvelle version à venir du règlement européen ?

Transferts de déchets : qu’est-il prévu pour le réemploi dans la nouvelle version à venir du règlement européen ?

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Dernière ligne droite pour le règlement européen relatif aux transferts transfrontaliers de déchets ( « RTD » pour les intimes) ! Après la publication en mai dernier par le Conseil de l’Union européenne (UE) de son mandat de négociation avec le Parlement européen, le texte devrait être très prochainement adopté par les deux institutions.

Cette révision vise à clarifier la distinction entre les biens usagés, qui peuvent circuler librement comme toute marchandise au sein de l’UE, et les déchets, qui sont soumis aux règles contraignantes du RTD.

L’enjeu de cette distinction est double :

  • Eviter les transferts irréguliers de déchets par des exportateurs qui se cachent derrière l’étiquette « biens d’occasion » pour transférer des déchets en dehors de toute régulation ;
  • Sécuriser l’activité des acteurs du marché de la seconde main et du reconditionné, et développer le réemploi à l’échelle de l’UE (exemples : les éléments électriques /électroniques d’occasion, les emballages ou contenants consignés ou encore les matériaux de réemploi)[1].

Cet article fait le point, à la veille de l’adoption de la révision du RTD, sur les règles en matière de transfert de biens usagés, aujourd’hui et demain.

1 – Déchet ou pas déchet … that is the question !

Pour rappel, le RTD s’applique uniquement aux déchets.

Ce texte emporte de nombreuses de conséquences juridiques et des formalités conséquentes (notamment sur la procédure d’information ou de notification à mener lors du transfert entre deux pays – selon le type de déchets). Ainsi chaque déchet, selon leur niveau de dangerosité, devra répondre à une procédure plus ou moins sévère pour passer d’un pays à un autre[2].

Or il n’est pas aisé de savoir si un objet est un déchet ou un bien d’occasion destiné au réemploi !

En effet, le déchet est ainsi défini, au niveau européen au sein de la Directive Déchets 2008, comme « toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire »[3].

Force est de constater que cette définition amène plus de questions que de réponses. Sachant que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne[4] est venue préciser que l’existence réelle d’un déchet doit être vérifiée au regard de l’ensemble des circonstances, et qu’il ne dépend pas des caractéristiques intrinsèques de la matière (de sa dangerosité par exemple).

💡A noter à ce sujet que la Directive Déchets au sein de l’Union européenne est également en cours de révision. Après une période de consultation publique qui s’est achevée le 24 août 2022, la Commission européenne devrait adopter et publier sa proposition de texte au 2nd semestre 2023. L’objectif ici est d’améliorer la gestion des déchets à l’échelle européenne et de faciliter le réemploi (encore une fois ici). CLIQUEZ ICI pour en savoir plus.

Les biens d’occasion, quant à eux, ne sont pas des déchets, puisqu’ils répondent à la définition du réemploi de la Directive Déchets. Le réemploi y est défini comme « toute opération par laquelle des produits ou des composants qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus ».

A ce stade déjà, c’est le serpent qui se mord la queue :

  • On n’est pas un déchet si on est un bien de réemploi ;
  • On est un bien de réemploi si on n’est pas un déchet ;
  • On ne sait toujours pas si en cédant un bien on s’en défait et il devient un déchet.  

Ajoutez à cette complexité le fait que chaque pays, dans une logique de surtransposition, peut avoir fixé des critères supplémentaires non opposables aux Etats transfrontaliers (ex : la France et son critère de « tri sur chantier par un opérateur ayant la faculté de contrôler le caractère réemployable » pour éviter que les matériaux issus de la déconstruction et destinés à être réemployés prennent le statut de déchet)[5], et vous obtenez un cocktail réglementaire explosif qui pourrait bien vous dissuader toute tentative de synergie transfrontalière !

2 – La situation des biens d’occasion aujourd’hui

Les critères pour distinguer réemploi et déchets dans la Directive Déchets et dans le RTD ne sont pas suffisamment clairs…

Cette distinction dépend essentiellement de l’appréciation des Etats membres où l’objet ou la substance circule, au cas par cas. En cas de désaccord entre deux Etats sur la qualification d’un transfert à la suite d’un contrôle, le RTD dans sa version actuellement en vigueur prévoit :

« 2. Afin de vérifier qu’une substance ou un objet transporté par voie routière, ferroviaire, aérienne, maritime ou par navigation intérieure ne constitue pas un déchet, les autorités intervenant dans les inspections peuvent exiger de la personne physique ou morale qui se trouve en possession de la substance ou de l’objet concerné, ou qui organise son transport, qu’elle soumette des preuves documentaires :

(a) concernant l’origine et la destination de la substance ou de l’objet concerné ; et

(b) établissant qu’il ne s’agit pas d’un déchet, y compris, le cas échéant, une attestation de bon fonctionnement. »[6]

En cas de contestation ou de différend persistant, c’est la CJUE tranche.

Dans une affaire récente, la CJUE[7] a eu à se prononcer sur la qualification de déchets ou non des biens usagés. Elle est venue préciser :

  • Que la notion de déchet ne doit pas être interprétée de manière restrictive, afin de garantir un niveau élevé de protection de l’environnement et de la santé ;
  • Que si un appareil ne peut pas être utilisé conformément à sa destination initiale (par exemple parce qu’il nécessite des réparations), celui-ci constitue une charge pour son détenteur, et doit alors être considéré comme un déchet, dans la mesure où il n’y a pas de certitude que le détenteur procèdera effectivement aux opérations permettant son réemploi.

3 – La situation des biens d’occasion demain

Le Conseil de l’UE est venu ajouter en mai dernier dans son mandat des conditions aux Etats membres, dans la procédure en cas de désaccord de classification, permettant de distinguer biens usagés et déchets lors de l’inspection :

« (c) When deciding whether an object or substance shall be considered as a used good and not as waste the Member States shall ensure that at least the following conditions are fulfilled:

(i) further use or reuse of the object or substance is certain;

(ii) the object or substance can fulfil its intended function without significant pre-processing;

(iii) where relevant, the object or substance is tested to ensure its full functionality;

(iv) further use is lawful, i.e. the object or substance fulfils all relevant product, environmental and health protection requirements for the specific use and will not lead to overall adverse environmental or human health impacts;

(v) the object or substance is properly protected and preserved during transport, loading and unloading.

The provisions in the first subparagraph shall be without prejudice to Article 23(2) and Annex VI to Directive 2012/19/EU and [Article 72(2) and Annex XIV to Regulation (EU) No Regulation on batteries and waste batteries]. »

En résumé, le Conseil de l’Union européenne souhaite exiger des autorités compétentes de s’assurer qu’un bien usagé remplisse les conditions suivantes (pour éviter le statut de déchet et ne pas être soumis au RTD) :

  • L’utilisation ou le réemploi ultérieure doit être certain ;
  • L’objet ou la substance peut remplir sa fonction prévue sans prétraitement significatif ;
  • Le cas échéant, l’objet ou la substance est testé pour s’assurer de sa pleine fonctionnalité ;
  • L’utilisation ultérieure est licite, c’est-à-dire que l’objet ou la substance satisfait à toutes les exigences pertinentes en matière de protection du produit, de l’environnement et de la santé pour l’utilisation spécifique et n’entraînera pas d’impacts globalement négatifs sur l’environnement ou la santé humaine ;
  • L’objet ou la substance est correctement protégé et conservé pendant le transport, le chargement et le déchargement.

En outre, le texte prévoit que la Commission européenne pourra prendre des actes d’exécution[8] établissant les critères permettant de distinguer les biens usagés des déchets, pour certains types de marchandises[9].

4 – Mais pas avant quelques années …

Les négociations entre le Conseil et le Parlement sont toujours en cours afin d’élaborer la forme définitive de l’acte législatif. Une fois qu’un accord provisoire aura été trouvé, l’adoption finale du texte par les deux institutions suivra.

Une affaire à suivre donc … et on peut espérer une adoption de la version finale du texte d’ici fin de cette année. On pourra ainsi découvrir les critères finalement retenus pour distinguer un bien usagé d’un déchet.

💡A suivre : une fois la nouvelle version du règlement adoptée par les deux institutions de l’Union européenne, SKOV vous résumera les principaux impacts et changements dans un article & infographie.


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[1] Commission européenne, l’exposé des motifs dans le projet de révision du RTD indique explicitement : « Le nouveau règlement devrait entraîner une augmentation dans l’Union du réemploi et du recyclage des matières issues de déchets, une amélioration des normes et pratiques en matière de gestion des déchets dans les pays qui importent des déchets provenant de l’Union et une réduction des transferts illicites de déchets tant au sein de l’Union qu’entre les pays tiers et l’Union européenne. » (17 novembre 2021).

[2] Pour en savoir plus, voir la page sur les transferts transfrontaliers de déchets par le Ministère : https://www.ecologie.gouv.fr/transferts-transfrontaliers-dechets

[3] Article 3, DIRECTIVE 2008/98/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives, transposé en droit français au sein de l’article L.541-1-1 du Code de l’environnement

[4] CJUE 15/06/2000, C-419/97 Chemie Nederland Ltd

[5] Art. L. 541-4-4 c. env.

[6] Article 58 du RTD

[7] CJUE, 4 juillet 2019, Tronex BV, Affaire C-624/17

[8] Pour rappel, les actes d’exécution sont des actes juridiquement contraignants qui permettent à la Commission — sous la supervision de comités composés de représentants des pays de l’UE — de fixer des conditions garantissant l’application uniforme de la législation de l’UE.

[9] Article 28 du projet de révision du RTD

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