Équipements de construction et garantie décennale : revirement de jurisprudence favorable au réemploi !

Équipements de construction et garantie décennale : revirement de jurisprudence favorable au réemploi !

La Cour de cassation vient de modifier sa jurisprudence pour exclure du champ de la garantie décennale les équipements de construction installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant. On revient en détail sur cette évolution favorable au réemploi des équipements de construction !

A titre liminaire, rappelons certains équipements concernés :

  • Radiateurs ;
  • Pompes à chaleur ;
  • Chaudières à gaz…

1 – La situation jusqu’à aujourd’hui : un risque décennal omniprésent

Depuis 2017, la Cour de cassation jugeait que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relevaient de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination[1].

En cohérence, elle avait écarté l’application des dispositions du Code des assurances qui auraient pu faire obstacle à la prise en charge de ces sinistres par les assureurs[2].

Cette jurisprudence qui avait pour effet d’étendre de manière exponentielle le champ de la garantie décennale et de l’impropriété à destination poursuivaient plusieurs objectifs :

🎯1. Simplification :  en ne distinguant plus selon que l’élément d’équipement était d’origine ou seulement adjoint à l’existant, lorsque les dommages l’affectant rendaient l’ouvrage en lui-même impropre à sa destination ;

🎯2. Meilleure protection des maîtres de l’ouvrage : puisque ces derniers réalisaient plus fréquemment des travaux de rénovation ou d’amélioration de l’habitat existant, ils pouvaient bénéficier d’une garantie de 10 ans pour ces travaux.

En 2024, la Cour de cassation dresse le bilan et conclut à la non-atteinte de ces objectifs :

👎1. Simplification : la Cour de cassation a finalement été conduite à préciser (et donc complexifier) la portée de ces règles. Ainsi, il a été jugé que les désordres affectant un élément d’équipement adjoint à l’existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination ne relevaient de la responsabilité décennale des constructeurs que lorsqu’ils trouvaient leur siège dans un élément d’équipement au sens de l’article 1792-3 du Code civil, c’est-à-dire un élément destiné à fonctionner (3e Civ., 13 juillet 2022, pourvoi n° 19-20.231, publié).

La distinction ainsi établie a abouti à multiplier les qualifications attachées aux éléments d’équipement et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d’exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les éléments d’équipement d’origine.

👎2. Meilleure protection des maîtres de l’ouvrage (MOA) : il ressort des consultations entreprises auprès de plusieurs acteurs du secteur (France assureurs, Fédération nationale des travaux publics, Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, Fédération française du bâtiment, Institut national de la consommation) que les installateurs d’éléments d’équipement susceptibles de relever de la garantie décennale ne souscrivaient pas plus qu’auparavant à l’assurance obligatoire des constructeurs.

La jurisprudence initiée en 2017 ne s’est donc pas traduite par une protection accrue des maîtres de l’ouvrage ou une meilleure indemnisation que celle dont ils pouvaient déjà bénéficier au titre d’autres garanties d’assurance…

Outre la non-atteinte de ces objectifs, cette jurisprudence présentait des inconvénients majeurs : les assureurs se retrouvaient avec des risques de plus en plus étendus à couvrir, le risque d’impropriété à destination devenant omniprésent.

En matière de réemploi, le fait de devoir assurer des travaux de pose d’équipements ayant servi pendant déjà un certain temps pour encore 10 ans induisait généralement des blocages et des refus de mise en œuvre ou de couverture (puisqu’on le rappellera, le caractère d’occasion de matériaux et d’équipements n’induit pas de limitation ou d’exclusion du droit à indemnisation du MOA ou de la garantie due par l’assureur en matière de garantie décennale[3]).

2 – La situation désormais : plus de risque décennal, et une responsabilité de droit commun

Dans sa décision du 21 mars 2024[4], la Cour de cassation a donc décidé de modifier sa jurisprudence :

«  il apparaît nécessaire de renoncer à cette jurisprudence et de juger que, si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs. ».

Autrement dit, les entreprises qui installent des équipements en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne sont pas soumises à l’obligation de souscrire une assurance Constructeur et ne sont pas tenues à la garantie décennale.

En cas de dommages causés par ces équipements à l’ouvrage, le maître d’ouvrage pourra toujours engager la responsabilité de l’entreprise pour les préjudices subis, mais il lui appartiendra d’apporter la preuve que l’entreprise a commis une faute en manquant à ses obligations contractuelles, et que cette faute est directement à l’origine des préjudices qu’il subit.

En outre dans la mesure où ces travaux ne constituent plus des « ouvrages », le délai du MOA pour agir sera a priori de 5 ans à compter de la survenance du dommage[5] et non plus de 10 ans à compter de la réception des travaux[6].

3 – Impact sur le réemploi des équipements

Pour le réemploi, recourir à des équipements de réemploi dans le cadre de travaux de rénovation est grandement facilité et devient une stratégie à privilégier :

Plus besoin d’exiger une assurance Décennale pour ces travaux (et notamment d’exiger une attestation pour le chantier incluant le réemploi comme il est de plus en plus d’usage), une Assurance RCP suffit ;

✅Le contrat laisse beaucoup plus de place pour partager la responsabilité et les risques liés au réemploi entre le maître d’ouvrage et l’entreprise.

En effet dans le cadre de la garantie décennale il n’était pas possible contractuellement de limiter ou d’exclure le droit à garantie du MOA[7]. L’entreprise n’avait d’autres options généralement que de refuser la mise en œuvre des matériaux de réemploi si elle ne souhaitait pas voir sa responsabilité engagée en cas de sinistre lié à ces équipements.

Désormais, l’entreprise pourra exclure ou limiter contractuellement la garantie s’agissant du bon fonctionnement ou de l’aptitude à l’usage des équipements de réemploi qui seraient notamment fournis ou imposés par le MOA (sous réserve des règles en matière de clauses abusives notamment) dans le cadre de travaux sur existant.

4 – Un revirement pour anticiper la réforme des contrats spéciaux ?

On notera en conclusion que ce revirement semble faire écho à l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux (soumis à consultation en 2022) qui ambitionne de mettre un peu d’ordre simplifier et clarifier les règles en matière de garantie des constructeurs. 

Ce dernier prévoit justement que ne constituaient pas des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles relatifs aux garanties des constructeurs les « éléments d’équipement installés sur existant » (projet d’article 1792-7).

On espère que cette réforme ne tardera pas à venir mettre de l’ordre dans ce régime extrêmement complexe et ces fluctuations jurisprudentielles qui créent une insécurité juridique incontestable pour le secteur du Bâtiment…

Affaire à suivre (et fingers crossed) !


[1] 3e Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71 ; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100.

[2] En écartant l’application de l’article L. 243-1-1, II, du Code des assurances, selon lequel les obligations d’assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles, lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur existant rendaient l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination (3e Civ., 26 octobre 2017, pourvoi n° 16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119).

[3] Voir sur ce point Réemploi des matériaux et garantie décennale – Que dit la jurisprudence en 2024 ? – Elisabeth Gelot, MATERIAUXREEMPLOI.COM, 14 mars 2024.

[4] Cass. civ., 21 mars 2024, n° 22-18.694, Publié au bulletin. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CASS/2024/CASSP42F948505E8C0D74065F

[5] Article 2224 Code civil.

[6] Le délai spécifique de prescription prévu par l’article 1792-4-3 du Code civil pour la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs en cas de dommages intermédiaires n’étant applicable qu’aux « constructeurs de l’ouvrage », et qu’il n’y a pas d’« ouvrage » au regard de la nouvelle jurisprudence. Ce point reste néanmoins selon nous à confirmer car la jurisprudence ne précise pas le délai d’action applicable (et que comme on vient de le voir, la Cour de cassation ne manque pas de nous surprendre !).

[7] Pour mémoire la garantie décennale des constructeurs est d’ordre public et toute clause d’exclusion de la garantie décennale du constructeur est nulle et réputée non-écrite (article 1792-5 du Code civil, pour un rappel récent : Cass. civ. 3, 19 mars 2020, n° 18-22.983).

Donc il n’est pas possible au démarrage du chantier pour le MOA de déclarer qu’il renonce à la garantie décennale des intervenants.

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