Projet de loi industrie verte : 3 mesures à inscrire pour permettre le déploiement de l’économie circulaire
Après avoir été présenté en Conseil des Ministres le 16 mai 2023, le projet de loi industrie verte est actuellement examiné par le Parlement, pour une procédure accélérée, en démarrant entre les mains du Sénat. Zoom sur ce texte important pour l’économie circulaire.
Travailler pour l’économie circulaire dans le secteur de l’industrie, c’est constater chaque jour :
- Un besoin croissant de recours à des matières premières secondaires ;
- Un intérêt certain pour la valorisation des déchets et des résidus de production pour dégager de nouveaux revenus ;
- Une vague d’innovation qui vise à éco-concevoir des produits à partir de matières valorisées ;
Et surtout, un décalage abyssal entre ce mouvement et la réglementation.
D’après notre expérience, trois principaux problèmes/freins existent, auxquels le projet de loi industrie verte peut y apporter une réponse rapide, et efficace :
- La procédure inadaptée de sortie du statut de déchet (SSD) (I) ;
- La valeur incertaine de la sortie implicite du statut de déchet (II) ;
- La crainte liée au statut de sous-produit (III).
I – Proposition 1 : prévoir une procédure au cas par cas de fin du statut de déchet
La procédure actuelle de sortie du statut de déchet est prévue par l’article L.541-4-3 du code de l’environnement et précisée aux articles D.541-12-4 à D.541-12-14 du même code.
Aujourd’hui cette procédure relève du Ministère chargé de l’environnement et doit aboutir à la publication d’un arrêté ministériel de sortie du statut de déchet.
Cette procédure nationale de sortie du statut de déchet n’est aujourd’hui adaptée que pour des « catégories de déchets » et dans les cas suivants :
- Soit lorsqu’il existe un consortium d’acteurs d’une filière (il s’agit d’un matériau recyclé en volumes importants, avec un processus de recyclage standardisé mis en œuvre par un grand nombre d’industriels) ;
- Soit un intérêt particulier de l’Etat (valorisation des terres excavées ou des sédiments issus de projet d’intérêt public).
Pour preuve, à ce jour on ne dénombre que 10 arrêtés de sortie du statut de déchet.
Elle n’est pas adaptée pour :
- Les démarches d’innovation, dans le cadre desquelles le processus de valorisation inclus souvent des informations relevant du secret des affaires ;
- Les projets impliquant de faibles volumes (matières/matériau répondant à un marché de niche, ou déchet valorisé dans une installation spécifique).
En revanche, la Directive 2008/98/CE relative aux déchets prévoit, à défaut de SSD européenne ou nationale, que les Etats ont la possibilité de prendre des décisions au cas par cas de fin du statut de déchet[1].
Nous sommes d’avis que cette possibilité de fin du statut de déchet au cas par cas doit être visée à l’article L. 541-4-3 du code de l’environnement.
La DREAL pourrait ainsi, sur présentation d’un dossier particulier, valider la fin du statut de déchet pour des synergies ou des matières spécifiques[2].
II – Proposition 2 : inscrire et clarifier la sortie implicite du statut de déchet dans le code de l’environnement
Nous y avions consacré un article dédié l’année passée (La sortie implicite du statut de déchet : où en est-on en 2022 ?), les griefs contre le dispositif actuel du point de vue opérationnel sont nombreux et freinent le déploiement de l’économie circulaire :
- Insécurité juridique (puisqu’il résulte d’un « avis ministériel » publié au JO) ;
- Conditions non prévues par la jurisprudence européenne (passage par un site ICPE, production d’une substance ou d’un mélange « similaire »…) ;
- Manque de clarté du dispositif et caducité au regard de la loi AGEC…
Nous proposons d’y mettre fin en inscrivant expressément la SSD implicite dans le code de l’environnement en rappelant que « Les déchets qui sont utilisés comme matières premières secondaires dans un processus de production cessent d’être des déchets à l’issue du processus de production, dès lors qu’ils respectent la législation et les normes applicables aux produits ».
III – Proposition 3 : créer une procédure de « rescrit économie circulaire » notamment pour les sous-produits
Le statut de sous-produit, prévu à l’article L. 541-4-2 du code de l’environnement, est extrêmement intéressant pour permettre la valorisation des résidus de production.
Toutefois dans la pratique, de nombreux industriels sont récalcitrants à recourir à ce dispositif.
En effet, c’est l’entreprise qui cède les sous-produits qui doit déterminer si les marchandises sont éligibles à ce statut.
Il n’existe pas de procédure de demande de prise de position formelle du préfet[3] ou de procédure de rescrit comme en matière de fiscalité[4] pour sécuriser les pratiques des industriels ayant recours à ce dispositif.
Les industriels sont donc frileux de voir ce statut de sous-produit contesté, notamment :
- Dans le cadre d’une inspection de leur site ;
- Ou dans le cadre d’un contrôle douanier si les produits sont livrés à un industriel situé dans un autre Etat.
En outre, nombreux industriels qui voient aujourd’hui un marché s’ouvrir pour ces résidus hésitent à sauter le pas :
- Au vu des caractéristiques des matières concernées, qui ont parfois des propriétés dangereuses (alors même que la dangerosité n’est pas un critère du statut de déchet[5]) ;
- Et de l’antériorité des pratiques (historiquement les résidus de production étaient éliminés en tant que déchet, et ce n’est que récemment qu’un marché existe pour la reprise de ces matières en vue de leur valorisation).
Pour lever ce frein, il suffirait qu’une procédure de rescrit soit disponible pour permettre à l’administration (et en toute logique à la DREAL) de valider la démarche et de constater que les conditions sont bien remplies.
Ce rescrit pourrait ainsi :
- Sécuriser la démarche circulaire des industriels ;
- Faciliter la commercialisation des produits ;
- Offrir un justificatif en cas de contrôle transfrontalier.
⚠️On signalera également qu’un autre frein au statut de sous-produit est souvent l’existence d’une qualification réglementaire des matières en déchet, notamment dans les arrêtés de prescriptions ICPE (ministériels ou préfectoraux). Un toilettage de ces textes afin de faciliter le recours au statut de sous-produit serait également la bienvenue en parallèle de la loi industrie verte.
Le mot de la fin (pour l’Europe) :
On rappellera que si la loi industrie verte est une belle occasion pour booster l’économie circulaire, le déploiement effectif de l’économie circulaire appelle également des changements plus structurels (exemple : reconnaissance mutuelle par les Etats de l’UE des critères nationaux de fin du statut de déchet aux fins de transferts de déchets), mais qui relèvent de textes européens en cours de révision :
Besoin de projets d’amendements sur le sujet ? Faites-le nous savoir en commentaire ou en nous contactant ici !
[1] Article 6, 4. « En l’absence de critères fixés au niveau de l’Union ou au niveau national conformément au paragraphe 2 ou 3, respectivement, un État membre peut décider au cas par cas que certains déchets ont cessé d’être des déchets ou prendre des mesures appropriées pour le vérifier, sur la base des conditions énoncées au paragraphe 1, et, si nécessaire, en reprenant les exigences énoncées au paragraphe 2, points a) à e), et en tenant compte des valeurs limites pour les polluants et de tout effet nocif possible sur l’environnement et la santé humaine. Ces décisions adoptées au cas par cas ne doivent pas être notifiées à la Commission conformément à la directive (UE) 2015/1535. »
[2] On rappellera qu’un dispositif similaire existait de 2012 à 2016, avec une instruction de la demande de SSD par le Préfet lorsque la demande portait sur un déchet valorisé dans une installation spécifique, et par le Ministre lorsqu’elle concernait « une catégorie de déchet » -> voir les articles ici.
[3] Décret n° 2020-634 du 25 mai 2020 portant application de l’article L 1116-1 du CGCT.
[4] Article L. 80 B-1° du LPF.
[5] Le statut de déchet ne dépend pas des caractéristiques et propriété intrinsèques de la matière, notamment son caractère dangereux (CJUE 15/06/2000, C-419/97 Chemie Nederland Ltd).