Loi industrie verte : de petites avancées mais surtout une occasion manquée pour l’économie circulaire

Loi industrie verte : de petites avancées mais surtout une occasion manquée pour l’économie circulaire

loi industrie verte et économie circulaire

Nous avions évoqué en mai dernier nos souhaits pour le projet de loi « industrie verte », qui était l’occasion rare et rêvée de réellement améliorer le cadre juridique français de l’économie circulaire.

Cet été le Sénat et l’Assemblée nationale se sont prononcés et ont modifié largement l’article 4 du projet de loi, dédié à l’économie circulaire.

Si la loi « industrie verte » ne sera adoptée qu’en octobre prochain à l’issue des débats de la Commission mixte paritaire, on peut déjà le dire : on ne gagne pas en clarté, et les avancées s’apparentent plus à des sauts de puce (au profit de quelques industriels) plutôt qu’à une révolution juridique !

C’était pourtant bien parti

Et pourtant. Le projet de loi initial était libéral et pour une fois, le libéralisme du gouvernement aurait pu profiter à l’économie circulaire !

La rédaction de ce texte était maladroite, certes, mais elle prévoyait une simplification réelle et spectaculaire des règles de sortie du statut de déchet (SSD) :

  • Tous les producteurs et détenteurs de déchets pouvaient réaliser une sortie du statut de déchet pour leurs matières sans procédure préalable auprès de l’administration (ni arrêté ministériel obligatoire, ni autorisation préfectorale). Ils devaient uniquement s’assurer que les conditions légales étaient remplies et pouvoir en justifier en cas de contrôle ou sur demande de l’administration (à l’instar du dispositif applicable pour les sous-produits). Le dispositif prévoyait enfin la possibilité pour les producteurs ou détenteurs qui auraient souhaité garantir la sécurité juridique de leur SSD d’obtenir une décision de l’autorité administrative pour fixer des critères permettant de répondre aux conditions légales. 
  • La sortie du statut de déchet était possible :
    • A l’issue du traitement (pour des matières recyclées ou régénérées par exemple) ;
    • Mais également à l’issue d’un processus de production (pour des matières ayant le statut de déchet intégrées dans la fabrication de produits).

Le texte intégrait donc la SSD implicite au dispositif mais harmonisait les procédures pour bénéficier d’une SSD implicite ou explicite.

Cette petite révolution, tout à fait « border line » par rapport au droit européen[1] (voire inconventionnelle), nous semblait néanmoins une véritable avancée et un levier considérable pour l’économie circulaire.

Malheureusement, elle a disparu avec l’intervention du Sénat et n’est pas réapparue avec l’Assemblée nationale.

Le texte de l’Assemblée nationale n’a plus rien d’une simplification. S’il marque certaines avancées, la lisibilité du dispositif s’est clairement dégradée.

Ce qui est prévu 

Le texte prévoit un panel de dispositions (assez mal articulées) qui portent principalement sur :

  • La sortie du statut de déchet ;
  • Les sous-produits ;
  • Les importations de matières premières secondaires.

S’agissant de la sortie du statut de déchet

Le texte modifie l’article L. 541-4-3 du code de l’environnement pour y intégrer la SSD implicite en ajoutant les aliénas suivants :

« I ter. – Une substance ou un objet élaboré dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matière première n’a pas le statut de déchet si cette substance ou cet objet est similaire à la substance ou à l’objet qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets, sous réserve que l’exploitant de l’installation de production respecte les conditions mentionnées au I.

« I quater (nouveau). – Un résidu de production, s’il est utilisé dans un processus de production, n’a pas le statut de déchet si l’exploitant de l’installation qui a produit ce résidu s’assure que celui-ci est similaire à une substance ou à un matériau qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets et qu’il s’assure du respect des conditions mentionnées au I.

« I quinquies (nouveau). – L’exploitant de l’installation de production mentionnée aux I ter et I quater transmet à l’autorité administrative compétente les éléments de justification nécessaires, notamment les essais réalisés lorsque l’exploitant utilise un résidu de production susceptible d’être dangereux. » ;

On espère que cette rédaction va évoluer en Commission mixte paritaire car en l’état elle appelle de très nombreuses questions :

  • Le texte ne clarifie pas les conditions de la SSD implicite qui pose des difficultés pratiques d’interprétation (voir sur ce point notre analyse dans l’article : « La sortie implicite du statut de déchet : où en est-on en 2022 ? ») ;
  • La rédaction vise les substances ou les objets (comme la définition du déchet), mais on comprend mal la pertinence de cette rédaction et pourquoi il ne reprend pas les termes de substances, mélanges et articles au sens de REACH (puisque la SSD implicite porte sur des produits) ;
  • La notion d’installation de production n’est pas définie et on entrevoit déjà les questions que cela va susciter ;  
  • L’exploitant qui utilise des matières premières secondaires devrait désormais :
    • Respecter les conditions de SSD explicite également ;
    • Transmettre des éléments à l’autorité administrative (on perd très clairement l’aspect « implicite » de cette SSD) ;
  • Le I quater est simplement incompréhensible à cet emplacement (il s’agit d’une présomption de « non-statut de déchet », qui aurait sa place à l’article L. 541-4-4 du code de l’environnement) et difficilement compréhensible dans l’absolu.

S’agissant des sous-produits

Le texte prévoit :

  • Une présomption de statut de « sous-produit » pour les résidus de production produits par une plateforme industrielle (telle que définie à l’article L. 515-48, soit aujourd’hui 5 plateformes[2]), dès lors que les conditions suivantes sont remplies :
    • Utilisation certaine au sein de la même plateforme industrielle ;
    • Le résidu n’engendre pas d’incidences globales nocives pour l’environnement et la santé humaine ;
    • L’exploitant transmet à l’autorité administrative compétente les éléments de justification correspondants s’agissant de la condition ci-dessus, notamment les essais réalisés lorsque le résidu est susceptible d’être dangereux.
    • Les quantités de résidus de production produites et les quantités de résidus de production échangées au sein de la plateforme doivent faire l’objet d’une déclaration annuelle à l’autorité administrative par les entreprises.

Deux commentaires là-dessus :

  • Au niveau du droit européen, cette disposition est clairement contestable puisqu’elle déroge aux règles en matière de sous-produit ;
  • Et par rapport au régime classique du sous-produit, est prévu un dispositif de contrôle (transmission à l’autorité administrative). On voit donc mal l’intérêt de cette « présomption » en pratique dans ces conditions.

S’agissant des importations de matières premières secondaires

Rappelons qu’à ce jour, il n’existe pas de reconnaissance mutuelle des critères de SSD des autres Etats membres de l’UE. En gros : l’économie circulaire oui, mais chacun chez soi. C’est une réelle problématique, qui est débattue actuellement dans le cadre des textes en cours de révision, notamment le Règlement relatif au transfert transfrontalier des déchets.

Le problème en pratique est le suivant : si un industriel veut utiliser des matières premières secondaires produites dans un Etat voisin pour son processus de production, même si ces matières n’ont plus le statut de déchet dans le pays où elles sont produites parce qu’elles bénéficient d’une SSD nationale, elles seront considéréés comme des déchets et soumises à une procédure d’information ou de notification pour être importées en France.  

Pour faciliter ces transferts de matières premières secondaires, le texte prévoit une reconnaissance par la France de la sortie du statut de déchet dans un autre pays de l’UE sous certaines conditions.

Le dispositif qui serait intégré à l’article L. 541-4-3 du code de l’environnement est le suivant :

 IV bis. – Dans le cadre de leurs transferts, les substances, les mélanges ou les objets ayant cessé d’être des déchets dans un État membre de l’Union européenne conservent leur statut de produit lors de leur entrée sur le territoire national lorsqu’ils satisfont cumulativement les conditions suivantes :

« 1° La sortie de statut de déchet a été réalisée conformément aux dispositions et aux conditions prévues à l’article 6 de la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives, transposée au I du présent article, garantissant que la substance, le mélange ou l’objet résulte d’une opération de valorisation et, notamment, que son utilisation n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine ; 

« 2° Lorsqu’il existe en France des critères de sortie de statut de déchet applicables à ces substances, à ces mélanges ou à ces objets, ces critères nationaux sont satisfaits ; 

« 3° Ces substances, ces mélanges ou ces objets sont eux-mêmes destinés à être incorporés dans un processus de production dans des installations de production sur le territoire national en substitution à des matières premières vierges.

« En cas de non‑conformité à l’une ou plusieurs de ces conditions constatées par l’autorité administrative française compétente, celle‑ci peut remettre en cause la sortie du statut de déchet de la substance, du mélange ou de l’objet sur le territoire national. ».

Ce dispositif est à saluer et constitue une avancée notable dans l’attente d’une évolution au niveau européen pour acter et généraliser la reconnaissance mutuelle des critères de SSD entre les Etats membres.

En pratique on ne peut s’empêcher de souhaiter bien du courage aux douaniers pour maîtriser cette nouvelle exception et apprécier ces conditions en cas de contrôle… 

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📝 Retrouvez-nous pour un webinaire le lundi 13 novembre 2023 pour faire le point sur le texte finalement adopté !

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[1] La Directive Déchets, dans sa version en vigueur, impose que la SSD soit encadrée :

  • Par des critères fixés par l’UE ;
  • Par des critères fixés par un Etat ;
  • Par une décision au cas par cas de l’autorité administrative.

Ce texte est en cours de révision mais à ce jour, il ne prévoit donc pas la possibilité de laisser l’appréciation des critères de SSD aux exploitants, producteurs et détenteurs de déchets.

[2] Arrêté du 18 novembre 2021 fixant la liste des plateformes industrielles prévue par l’article L. 515-48 du code de l’environnement

Une réponse

  1. […] est finalement passée à la trappe à l’issue du Sénat(plus d’informations : voir notre article « Loi industrie verte : de petites avancées mais surtout une occasion manquée pour […]

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