Loi Industrie Verte : ce qui va changer pour l’économie circulaire
La tant attendue loi relative à l’Industrie Verte a été publiée le 24 octobre 2023.
On peut dire que les ambitions initiales étaient grandes : faire de la France le leader de l’industrie verte en Europe, le leader des technologies vertes nécessaires à la décarbonation et verdir les industries existantes. Le résultat final est, quant à lui… moins époustouflant avec une certaine perte de mesures ambitieuses en cours de route. On fait le point avec vous dans trois articles sur ce qui change pour la commande publique, l’économie circulaire et l’urbanisme.
Après avoir passé en revue la commande publique dans notre précédent article, on fait le point aujourd’hui sur l’impact de la loi pour l’économie circulaire.
1 – La sortie du statut de déchet implicite (SSD) enfin consacrée
La loi vient modifier l’article L541-4-3 du code de l’environnement et ajoute cette partie I ter:
« I ter. – Une substance ou un objet élaboré dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matière première n’a pas le statut de déchet si cette substance ou cet objet est similaire à la substance ou à l’objet qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets, sous réserve que l’exploitant de l’installation de production respecte les conditions suivantes :
- la substance ou l’objet est utilisé à des fins spécifiques ;
- il existe une demande pour une telle substance ou objet ou elle répond à un marché ;
- la substance ou l’objet remplit les exigences techniques aux fins spécifiques et respecte la législation et les normes applicables aux produits ;
- son utilisation n’aura pas d’effets globaux nocifs pour l’environnement ou la santé humaine.
L’exploitant de l’installation de production transmet à l’autorité administrative compétente les éléments de justification nécessaires, notamment les essais réalisés lorsque l’exploitant utilise comme matière première des déchets susceptibles d’être dangereux. »
Sept ans que l’on attendait ça !
Un avis avait été publié au Journal Officiel le 13 janvier 2016 afin de faire avancer le sujet du recours aux matières premières secondaires en reconnaissant la possibilité de SSD implicite (mais de manière précaire et sans connaitre sa valeur juridique).
Quelques observations sur cette nouvelle codification apportée par la loi Industrie Verte et qui vient changer le dispositif depuis 2016 qui est axé sur la cohérence avec la sortie du statut de déchet explicite.
- Contrairement au dispositif de 2016, le dispositif ne vise plus les « mélanges » (terme de REACH) mais seulement les substances ou objets (nous sommes néanmoins d’avis que les mélanges étant des solutions composées de deux substances ou plus, ils peuvent toujours bénéficier de ce dispositif) ;
- Désormais, « l’installation de production » au sein duquel a lieu la SSD implicite n’est plus nécessairement une ICPE (il n’y a en revanche aucune précision s’agissant de cette notion et aucun texte d’application annoncé) ;
- On ne comprend pas à qui, quoi, quand et comment transmettre les « éléments de justification nécessaires ». La pratique devrait permettre d’y voir plus clair.
Une transposition qui a donc le mérite d’exister même si elle n’est pas parfaite. Elle permet de sécuriser la SSD implicite et ainsi de substituer à des matières premières des matières secondaires pour des processus de production.
On rappellera que le projet de loi initial prévoyait une simplification réelle et assez spectaculaire des règles de SSD qui est finalement passée à la trappe à l’issue du Sénat (plus d’informations : voir notre article « Loi industrie verte : de petites avancées mais surtout une occasion manquée pour l’économie circulaire » ).
2 – Des critères pour éviter le statut de déchet au sein des plateformes industrielles pour multiplier les synergies
La loi Industrie Verte prévoit un nouvel article dans le code de l’environnement (art. L.541-4-5 code de l’environnement) :
« Une substance ou un objet qui est produit au sein d’une plateforme industrielle définie à l’article L. 515-48 et dont la production n’était pas le but premier du processus de production ne prend pas le statut de déchet si l’ensemble des conditions suivantes est rempli :
☑️ L’utilisation de la substance ou de l’objet au sein de cette même plateforme industrielle est certaine ;
☑️ 2° La substance ou l’objet n’a pas d’incidence globale nocive pour l’environnement ou la santé humaine ;
☑️ 3° L’exploitant de l’installation ayant produit la substance ou l’objet a transmis à l’autorité administrative compétente les éléments justifiant le respect du 2°, notamment les essais réalisés, lorsque la substance ou l’objet est susceptible d’être dangereux.
Aujourd’hui, seulement quatre plateformes répondent à cette définition et ont été reconnues par arrêté. »
Cet article vise les résidus des processus de production, c’est-à-dire des substances ou des objets dont la production n’était pas le but premier.
Ils ne prendront donc pas le statut de déchet si l’ensemble des conditions citées dans l’article sont réunies.
L’intérêt de ce dispositif reste selon nous relativement limité :
- Il est assez similaire à celui des sous-produits (art. L. 541-4-2 c. env.) ;
- Il ne peut bénéficier qu’à cinq plateformes actuellement.
Un lobbying pour élargir la notion de plateforme industrielle serait intéressant afin d’inciter à un élargissement des synergies.
3 – Renforcement des sanctions liées à la gestion des déchets
Tous les délits en matière de gestion de déchets prévus par le code de l’environnement voient leurs sanctions multipliées par deux.
L’article L541-46 du code de l’environnement prévoit désormais qu’ils sont punis de quatre ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, contre 2 ans et 75 000 euros précédemment.
Les sanctions en cas de délit commis en bande organisée augmentent également (huit ans d’emprisonnement et à 500 000 euros d’amende versus 7 ans et 150 000 euros avant la loi Industrie Verte).
Les délits les plus poursuivis sont les dépôts illégaux de déchets (décharge sauvage et non déclarée), et on notera qu’à ce jour le problème est moins la dureté des sanctions que l’absence de poursuite et de contrôle (dû à un manque de moyen croissant des inspecteurs de l’environnement et des juridictions pénales).
On citera par exemple le manquement à l’obligation du tri des 7 flux sur chantier applicable depuis 2021 mais toujours très peu appliquée et jamais poursuivi à ce jour.
4 – Transferts : plus de contrôle et de sanction
Face à la pression médiatique sur le sujet des déchets transférés en masse dans les pays tiers, la loi a souhaité agir aussi sur ce point et prévoit désormais que « Le Gouvernement présente, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures permettant d’assurer que les textiles usagés contenant des fibres de plastique exportés hors de l’Union européenne comportent des exigences minimales de qualité et de traçabilité garantissant qu’ils seront réutilisés et non traités comme des déchets. » (art. 6 (II) de la loi)
Avec notamment :
- Une augmentation des sanctions pénales pour les transferts illicites (cf §3 ci-dessus) ;
- La création d’une amende administrative (avec le nouvel article L541-42-3 du code de l’environnement) ;
- Et l’ajout d’une garantie de contradictoire dans le cadre de la procédure administrative (ajout d’un article L541-42-1 code de l’environnement).
Mais il reste à voir si le terrain pourra suivre ces nouvelles mesures et les mettre en application.
Ce que l’on a raté également s’agissant des transferts : pour faciliter les transferts de matières premières secondaires, le texte prévoyait (avant son passage en Commission Mixte Paritaire) une reconnaissance par la France de la SSD dans un autre pays de l’UE sous certaines conditions. Ainsi, par exemple, si l’on voulait importer des matières secondaires qui avaient fait l’objet d’une SSD en Allemagne, nous n’étions plus obligés de faire une procédure de transfert de déchets et nous pouvions les transporter comme une simple marchandise. Cette mesure a disparu dans la version finale de la loi.
Cependant il faut noter que le règlement européen relatif aux transferts de déchets (« RTD ») est en cours de révision actuellement au sein des institutions européennes et ne prévoit pas de reconnaitre les SSD dans les différents pays. De plus, la directive-cadre relative aux déchets (« directive Déchets ») est elle aussi en cours de révision (mais à un stade moins avancé). Sa révision pourrait permettre d’instaurer cette notion de réciprocité des SSD entre pays afin de favoriser une circulation plus facile des matières secondaires et un approvisionnement par les industriels simplifié.
Pour aller plus loin, retrouver le replay et le support du webinaire d’actualités de la loi Industrie Verte organisé par SKOV le 13 novembre 2023.