Réemploi des matériaux de construction : quelle responsabilité pour l’architecte ?
Le réemploi n’est pas sans risque du point de vue juridique pour l’architecte. Mais comme disait Jeanne Moreau, « Vivre, c’est prendre des risques ». Le tout est d’identifier ces risques afin de les annihiler ou au moins de les réduire au maximum (c’est pour ça que l’Homme créa les assurances).
Les matériaux réemployés peuvent présenter des défaillances techniques, ou engendrer des problèmes sanitaires ou environnementaux. Dans ces hypothèses, la responsabilité de l’architecte peut être recherchée.
Cet article se propose de faire le point sur la jurisprudence en la matière et de délivrer quelques conseils afin d’écarter au maximum la responsabilité de l’architecte qui œuvre pour le réemploi des matériaux.
1 –Bref point sur l’impact du réemploi sur les régimes de responsabilité et les garanties pesant sur l’architecte
Premièrement, le réemploi ne modifie pas l’obligation d’assurance de l’architecte, la garantie décennale et la garantie de parfait achèvement.
Le réemploi implique néanmoins la plupart du temps une adaptation des contrats d’assurance (l’assurance professionnelle de l’architecte mais aussi l’assurance construction « dommages-ouvrage ») afin que les éventuels dommages causés par des matériaux réemployés soient couverts.
Deuxièmement, sachez que la garantie biénnale (dite également « de bon fonctionnement ») n’est généralement applicable qu’aux matériaux neufs1, puisqu’elle est soumise au respect des textes en vigueur (DTU, normes, etc).
Par conséquent, elle ne jouera potentiellement que dans le cas du réemploi de matériaux qui n’ont pas eu l’occasion de servir effectivement, et sont toujours emballés et accompagnés d’une facture d’un fabricant ou distributeur (par exemple surplus de chantier, fin de stocks, ou erreurs de commandes). Elle ne couvrira pas les matériaux issus d’opérations de déconstruction (sauf s’ils sont couverts par une garantie commerciale spécifique).
Enfin, l’obligation de conseil de l’architecte est évidemment toujours de rigueur. Il n’y a pas de jurisprudence sur le sujet du réemploi, mais on peut spéculer. Le juge pourrait notamment contrôler l’utilité et la pertinence du réemploi au regard de la destination de l’ouvrage. Il pourrait aussi sanctionner l’absence d’informations sur les implications du réemploi au niveau assurantiel.
2 – En principe, la responsabilité de l’architecte peut être retenue, même si le vice affectant les matériaux réemployés n’est pas normalement décelable lors de la construction
Petit rappel : dans le cadre de la garantie décennale, l’architecte est présumé responsable des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent impropre à sa destination. Il ne peut s’exonérer de cette responsabilité que s’il démontre que les dommages proviennent d’une cause étrangère2.
La jurisprudence s’est montrée sévère avec les architectes s’agissant du choix des matériaux. La Cour de cassation considère ainsi que le fait que les matériaux ait été choisis par le maître d’ouvrage qui n’était pas notoirement compétent, et que le vice du matériau acheté n’était normalement pas décelable à l’époque de la construction, ne constituait pas une cause étrangère exonératoire pour l’architecte3.
Ce que cette décision implique : vous devez partir du principe que vous avez la charge de contrôler, de manière approfondie et sérieuse, la qualité des matériaux issus du réemploi qui seront utilisés dans le cadre de la construction. Vous êtes en principe responsable des dommages que causeraient ces matériaux.
3 – Mais la responsabilité de l’architecte est écartée, en cas d’immixtion fautive du maître d’ouvrage ou d’une acceptation délibérée des risques par ce dernier
Si la solution énoncée précédemment paraît implacable, la Cour de cassation a néanmoins apporté un tempérament qui permet d’écarter la responsabilité de l’architecte.
La jurisprudence a ainsi pu juger que dans une affaire où le client avait imposé l’utilisation de matériaux d’occasion ou de récupération à l’entreprise de travaux, sans faire appel à l’architecte (sauf pour la terminaison du chantier) et où le dit maître d’ouvrage s’était manifestement immiscé dans l’exécution des travaux, la responsabilité de l’architecte ne pouvait pas être engagée4.
Le juge rappelle dans cette décision que l’immixtion fautive du maître d’ouvrage ou l’acceptation délibérée des risques constituent une cause étrangère exonératoire pour l’architecte.
4 – Les conseils (parce qu’un architecte averti en vaut deux)
1) Revoyez les contrats d’assurance et faites les adapter le cas échéant, pour vous assurer que le réemploi ne crée pas de risques qui ne seront pas couverts. Privilégiez les matériaux de réemploi qui sont vendus avec une garantie commerciale spécifique.
2) Ne lésinez pas sur les essais et les vérifications poussées (audit technique des matériaux), qui peuvent être réalisés par un tiers (bureau d’études), même si c’est le maître d’ouvrage qui a choisi les matériaux à réemployer et surtout si c’est un profane de la construction. Ne vous limitez pas à un contrôle visuel et ne choisissez que des matériaux pour lesquels vous disposez d’un maximum d’informations (inutile de jouer à la roulette russe, en choisissant des matériaux dont vous ignorez tout).
Si, à la suite de ces contrôles, vous avez un doute ou que vous déconseillez l’utilisation de tel ou tel matériau, n’oubliez pas de laisser une preuve (un courriel, dans lequel vous donnez un avis défavorable, et où vous exposez les risques de l’utilisation du matériau, fera l’affaire).
3) En amont du chantier dans l’idéal, envoyez un courrier (ou un courriel) à votre client, dans lequel vous l’informez des risques que les matériaux issus du réemploi, et que vous souhaitez utiliser, peuvent générer. Demandez-lui de valider formellement (par écrit) cette utilisation, et s’il accepte les risques qu’elle induit.
1. Rapport d’étude « Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction », Ademe, avril 2016, p. 99.
2. Article 1792 code civil.
3. C. cass., 3° Civ., 7 mars 1990, 88-14866.
4. C. cass., 3° Civ., 12 février 2013, 10-21041.