Quelle responsabilité pour les donateurs en cas de réemploi des matériaux ?
Vous êtes un artisan, un maître d’ouvrage, une association ou un individu souhaitant donner des matériaux afin qu’ils soient réemployés (par exemple du mobilier issu d’un chantier de déconstruction, ou des dalles de faux plancher issues d’un surplus de chantier).
Dans votre élan de générosité et votre désir de contribuer à l’économie circulaire, vous vous interrogez sur l’étendue de votre responsabilité : quand peut-elle être engagée dans le cadre du réemploi et à quel titre ?
La réponse en 5 points.
- Vous n’êtes pas responsable au titre du code de l’environnement
Les producteurs et détenteurs de déchets sont responsables des déchets qu’ils produisent ou qu’ils ont en leur possession1. Il s’agit d’une responsabilité administrative et financière, qui entraîne notamment le cas échéant l’obligation de tenir à jour un registre de suivi des déchets que vous produisez 2.
Bonne nouvelle, dès lors que vous faites du réemploi, l’objet en question n’est pas un déchet puisqu’il s’agit d’une opération de préventiondes déchets ! Par conséquent vous échappez à la responsabilité prévue au titre du code de l’environnement.
Vérifiez avec rigueur que vous vous inscrivez dans le cadre du réemploi et que le matériau donné échappe au statut de déchet. A ce sujet, vous pouvez lire l’article Les critères juridiques du réemploi – Comment éviter le statut de déchet ?.
- Vous n’êtes pas responsable en tant qu’ancien propriétaire
La personne qui est le gardien d’une chose est responsable des dommages que celle-ci pourrait causer à autrui ou aux biens d’autrui3.
Dès lors que vous n’êtes plus l’actuel propriétaire du matériau réemployé et que vous n’avez ni l’usage, ni le contrôle, ni la direction de ce dernier, vous n’êtes a priori pas responsable des dommages qu’il pourrait causer.
Néanmoins, le juge distingue dans certains cas (essentiellement pour les objets présentant une certaine dangerosité, comme un groupe frigorifique ou du matériel électrique par exemple) deux types de gardiens :
- le gardien de la structure (la personne qui a fabriqué l’objet),
- le gardien du comportement (la personne qui utilise l’objet).
A ce titre, la vigilance s’impose dans les cas où vous donnez un objet que vous avez fabriqué de toute pièce ou modifié en profondeur. Si le dommage est directement dû à la structure de l’objet, il n’est pas tout à fait exclu que vous puissiez être regardé comme responsable.
Cas pratique (pour vérifier si vous avez bien compris) :
- Un escalier en bois (menuiserie, matériaux non dangereux) est très légèrement modifié lors de sa dépose. Ultérieurement, après sa mise en œuvre dans un nouveau bâtiment, une des marches cède sous le poids d’un des résidents qui se blesse. La responsabilité du donateur n’est pas engagée.
- Un groupe frigorifique (matériau pouvant être qualifié par le juge de dangereux) qui a été modifié substantiellement par le donateur (qui a démonté un vieux groupe, récupéré des pièces dans des déchetteries, remonté et nettoyé le tout). Ultérieurement, un installateur intervenant dans le respect des règles de sécurité est victime d’un accident causé par le groupe frigorifique. La responsabilité du donateur peut être recherchée.
- Vous n’êtes pas responsable comme le serait un vendeur
Le droit fait peser sur le vendeur professionnel certaines obligations, notamment d’information et de garantie. Cela paraît équitable, lorsque la relation fait intervenir un sachant et un profane.
Lorsque vous donnez des matériaux en vue du réemploi, vous n’êtes en revanche tenu ni d’une obligation d’information, ni d’une obligation de garantie. Cela paraît également équitable, dans la mesure où vous n’êtes pas censé être en présence de toutes ces informations et que vous n’êtes pas en mesure de garantir personnellement le produit.
Bonne pratique : s’il s’agit de matériaux en série (des tables de bureaux par exemple) ou nécessitant des précautions d’usage (CVC ou électricité par exemple), fournissez toute la documentation relative à ces matériaux que vous possédez au donataire (documentation technique telle que mode d’emploi, fiche technique, garantie, etc).
- Vous n’êtes pas responsable au titre de la législation sur les produits défectueux
Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime4.
Vous seriez producteur si vous étiez un professionnel qui a fabriqué le produit et l’a mis en circulation initialement.
Là encore, dans le cadre du don de matériaux de réemploi, vous n’êtes pas producteur dès lors que vous avez acheté les matériaux en question. Vous ne pourrez donc pas voir votre responsabilité engagée si le matériau donné et réemployé porte ultérieurement atteinte à une personne, ou s’il endommage gravement un bien.
Lorsque le producteur ne peut être identifié, la responsabilité de tout professionnel qui fournit un produit peut également être recherchée, à charge pour lui de désigner le producteur pour s’exonérer 5. A noter qu’a priori la notion de fournisseur exclut les opérations de don.
Bonne pratique : si vous connaissez l’identité du producteur ou de celui qui vous a fourni le produit initialement, transmettez ces informations à votre donataire.6
- En conclusion vous n’êtes éventuellement responsable que si vous donnez à réemployer des matériaux que vous avez fabriqués ou substantiellement modifiés
Si vous souhaitez éviter tout risque d’engagement de votre responsabilité, ne donnez pas de matériaux que vous avez fabriqués ou que vous avez modifiés substantiellement. Vous risqueriez d’être regardé comme le gardien de la structure de ces derniers.
Pour finir, n’oubliez pas les précautions à prendre lorsque vous donnez des matériaux en vue de leur réemploi afin que votre responsabilité ne puisse être recherchée :
– donnez toutes les informations et documentation dont vous disposez au donataire, surtout s’il s’agit de produits nécessitant des précautions d’usage (CVC par exemple),
– n’hésitez pas à faire signer une quittance par l’organisme donataire à la livraison des matériaux réemployables, constatant que ces derniers sont en bon état et actant le transfert effectif de propriété (qui, en principe, dans le cadre d’un don manuel, s’effectue lors de la remise des matériaux).
Bonne pratique : cette quittance doit indiquer la nature du ou des matériaux donnés, leur valeur actuelle, et le jour où le don est effectué. Il doit permettre de constater le consentement du donateur et du donataire sans aucune réserve.
1. Article L. 541-2-1 et L. 541-6 du code de l’environnement.
2. Article R. 541-43 du code de l’environnement.
3. Article 1242 du code civil.
4. Article 1245 du code civil.
5. Article 1245-5 du code civil.
6. A noter qu’un produit est dit « défectueux » lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment du moment de la mise en circulation du produit (pour les matériaux de réemploi, dans de nombreux cas, l’ancienneté des produits pourrait exclure la recherche d’un responsable au titre des produits défectueux – article 1245-3 du code civil). On précisera en outre qu’aucune action au titre des produits défectueux ne peut être engagée en principe 10 ans après la mise en circulation du produit, ce qui limite aussi bon nombre de recours sur ce fondement s’agissant des matériaux issus de la déconstruction (article 1245-15 du code civil).