Tourisme vert : le droit de l’urbanisme autorise-t-il le camping à la ferme ?
En cette période estivale la tendance est au vert dans le secteur du tourisme…les campings en forêt respectueux de leur environnement ainsi que les campings à la ferme rencontrent un certain succès ces dernières années, en particulier avec la crise sanitaire. Leur développement connait une forte croissance sur le territoire français. Les chambres d’agriculture incitent les agriculteurs à diversifier leurs activités en développant l’offre d’hébergement à la ferme.
En découle une question importante : que dit le droit de l’urbanisme pour les campings à la ferme ? et plus particulièrement, les autorise-il ?
Décryptage du droit et explications dans cet article.
1 – Une … ou plusieurs définitions juridiques des campings à la ferme
De manière synthétique, il existe deux types de camping :
- Le terrain de camping aménagé
- Le parc résidentiel à loisirs
En droit de l’urbanisme, ces deux types de camping sont soumis (en fonction notamment de leur taille) soit à déclaration préalable[1] soit à permis d’aménager[2].
En ce qui concerne les campings à la ferme, ces derniers concernent un terrain, aménagé, généralement situé sur une exploitation agricole en activité, à proximité immédiate de l’habitation de l’exploitant. La capacité d’accueil est de vingt personnes maximum ou de six emplacements, avec la possibilité d’accueillir des tentes, caravanes et camping-cars.
La définition juridique du camping à la ferme varie quant à elle. En effet on peut opposer ici deux codes traitant des campings à la ferme, et plus précisément « des activités en zones agricoles » : le code de l’urbanisme et le code rural et de la pêche maritime.
Du côté du droit de l’urbanisme, le code prévoit[3] :
« I.-Dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, le règlement peut :
1° Autoriser les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière du terrain sur lequel elles sont implantées et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ;
(…)
II.-Dans les zones agricoles ou forestières, le règlement peut autoriser les constructions et installations nécessaires à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles, lorsque ces activités constituent le prolongement de l’acte de production, dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. L’autorisation d’urbanisme est soumise pour avis à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. »
Ainsi, pour qu’une installation ou une construction puisse être autorisées en zone agricole dans le règlement d’un Plan Local d’Urbanisme, elle doit être nécessaire à l’activité agricole. S’il n’existe pas réellement en droit de l’urbanisme de définition des activités nécessaires à l’activité agricole – il appartient souvent au Juge administratif, en cas de contentieux, de se prononcer selon le cas d’espèce sur le caractère nécessaire ou non de l’activité objet de l’autorisation d’urbanisme, il est constant que les activités d’accueil touristique proposées par les campings à la ferme ne sont donc pas expressément mentionnées.
Du côté du droit rural, le code définit des activités agricoles de la manière suivante :
« Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation. »
Le code précise également que les activités d’accueil touristique (types campings à la ferme) peuvent être considérées comme des activités agricoles dans l’application du régime de protection sociale des non-salariés des professions agricoles[4] :
« Exploitations de culture et d’élevage de quelque nature qu’elles soient, exploitations de dressage, d’entraînement, haras ainsi qu’établissements de toute nature dirigés par l’exploitant agricole en vue de la transformation, du conditionnement et de la commercialisation des produits agricoles lorsque ces activités constituent le prolongement de l’acte de production, ou structures d’accueil touristique, précisées par décret, situées sur l’exploitation ou dans les locaux de celle-ci, notamment d’hébergement et de restauration ; »
Et si l’on continue à explorer la définition en entonnoir des campings à la ferme dans le code rural, on peut lire :
« Sont considérées comme structures d’accueil touristique celles permettant d’effectuer des locations de logement en meublé, des prestations d’hébergement en plein air, des prestations de loisirs ou des prestations de restauration. Pour les prestations de restauration, les produits utilisés doivent provenir en grande partie directement de l’exploitation. »[5]
En résumé, en rapprochant les définitions des structures d’accueil touristique et d’activités agricoles, on peut en déduire que le code rural considère les activités d’accueil touristique comme des activités agricoles. Et par conséquent, cette considération des activités de campings à la ferme en tant qu’activités agricoles nécessaires selon le code rural permettrait donc de les autoriser.
Mais, a contrario, le code de l’urbanisme ne le précise pas et ne les autorise pas expressément.
Quel code doit-on donc suivre ? Entre le code de l’urbanisme qui n’autorise pas expressément les activités de campings à la ferme (par le biais des activités agricoles dites « nécessaires ») et le code rural qui fait un rapprochement plus direct permettant une autorisation ?
2 – L’instruction des autorisations d’occupation du sol au regard du seul droit de l’urbanisme
Une des règles fondamentales du droit français est le principe d’indépendance des législations.
Ainsi une demande d’autorisation d’urbanisme ne peut être instruite qu’au regard seul du droit de l’urbanisme.
Le rattachement au droit de l’urbanisme, peut également s’expliquer à l’origine par le souhait du législateur de prendre en compte pour cette réglementation relative aux campings des préoccupations de protection de l’environnement et d’aménagement de l’espace.
Le Conseil d’Etat a rappelé ce principe dans un arrêt du 14 février 2007[6]. Dans cette affaire, il était question de la construction d’un gite rural, situé à une centaine de mètres de la ferme, sur le territoire d’une commune non couverte par un document d’urbanisme. Il a été précisé ici que les dispositions du code rural définissant les activités de campings à la ferme comme activités agricoles[7] ne sont pas « au nombre de celles que peut prendre en compte l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme. »
De plus, le Conseil d’Etat a affirmé que :
« Considérant qu’alors même que les ressources procurées par un gîte rural seraient utiles, voire indispensables, à l’équilibre économique d’une exploitation agricole, la construction d’un édifice hôtelier ne peut être regardée comme nécessaire à cette exploitation au sens du code de l’urbanisme. »
Le Ministre de l’agriculture et de la pêche l’a rappelé en 2008 dans une réponse faite au JO Sénat[8] :
« Le fait qu’un certain nombre d’activités (gîtes ruraux, hôtellerie à la ferme…) constituent, pour le droit social agricole, des prolongements de l’activité agricole n’autorise pas à délivrer un permis de construire en zone A des PLU. »
Plus récemment, cette position du Conseil d’Etat a, également, été reprise dans un arrêt récent (se prononçant sur les dispositions du code de l’urbanisme dans leur version antérieure à celles issues de la loi ELAN) de la Cour administrative d’appel de Lyon[9].
La loi ELAN du 23 novembre 2018 est venue marquer le point final de cette exclusion des activités touristiques de la liste des constructions ou installations autorisées en zone agricole.
Voici ce que l’on peut lire dans le rapport des travaux de la commission mixte paritaire[10] :
En résumé, les dispositions de l’article L.151-11 du code de l’urbanisme issues de la loi ELAN excluent expressément les activités d’accueil touristique comme pouvant être autorisées dans un règlement de PLU.
Une application stricte du droit de l’urbanisme ne permet donc pas l’accueil touristique en zone agricole.
3 – Des exceptions possibles ?
L’on peut noter, tout d’abord, « l’exception » tirée de l’existence antérieure d’activités touristiques déjà exercées.
En effet, comme rappelé ci-dessus par Madame le Sénateur SASSONE, les activités déjà exercées dans des bâtiments existants ne nécessitent pas de nouvelle autorisation d’urbanisme sans qu’il soit possible, en revanche, de faire une distinction entre construction et installation.
Si Madame le Sénateur PRIMAS a fait mention dans l’extrait du rapport cité ci-avant des « nouvelles constructions », il est constant que l’article L.151-11 du code de l’urbanisme vise les constructions et les installations, en ce compris, donc, les emplacements de tentes.
Il ne peut donc être tiré comme conséquence que les nouvelles installations ne seraient pas concernées par les nouvelles dispositions de l’article L.151-11 du code de l’urbanisme.
L’antériorité des constructions et installations a été rappelée et confirmée par la Cour administrative d’appel de Marseille en février 2021[11] à propos d’une déclaration préalable relative à un camping à la ferme dans une commune couverte par une carte communale[12] :
« Ce camping à la ferme existant depuis plusieurs décennies ne doit faire l’objet d’aucun aménagement supplémentaire, qu’il comporte d’ores et déjà six emplacements et qu’il permet d’accueillir vingt personnes au maximum. »
Ensuite, pour permettre le camping à la ferme, il pourrait être fait usage des dispositions de l’article L.151-13 du code de l’urbanisme relatives aux secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) avec les conditions restrictives que l’on connaît.
Les « exceptions » sont donc peu nombreuses et l’autorisation formelle et plus générale en droit de l’urbanisme du camping à la ferme passe par une nouvelle intervention du législateur pour que les incitations des chambres d’agriculture se matérialisent concrètement sans que les services des directions départementales du territoires ne s’y opposent.
[1] Article R.421-23 du code de l’urbanisme
[2] Article R.421-19 du code de l’urbanisme
[3] Article L.151-11 du code de l’urbanisme
[4] Article L.722-1 du code rural et de la pêche maritime
[5] Article D722-4 du code rural et de la pêche maritime
[6] CE, 14 février 2007, 282398.
[7] Décret du 4 janvier 1988, article 1er cité dans l’arrêt
[8] Réponse du Ministre de l’agriculture et de la pêche publiée au JO Sénat du 17 janvier 2008, p.99.
[9] CAA LYON, 6 mai 2019, 18LY02695
[10] Rapport commission mixte paritaire AN n°1253 et Sénat n°720, p.29 et 30.
[11] CAA MARSEILLE, 16 février 2021, 19MA01690
[12] Il convient de préciser que cet arrêt a été rendu au regard de l’application d’un plan de prévention des risques d’inondation et sur le territoire d’une commune doté non pas d’un PLU mais d’une carte communale et donc en application des dispositions de l’article L.161-4 du code de l’urbanisme dans sa version applicable au litige.
Une réponse
Merci pour ce décryptage ! Bravo pour votre travail !