Réemployer des luminaires : quels enjeux de propriété intellectuelle ?
Il est fréquent que les luminaires soient des produits protégés par un droit de propriété intellectuelle tel qu’un droit d’auteur, une marque, un dessin ou un modèle.
Le réemploi, le reconditionnement ou l’upcycling de ce type de produits se heurtent-ils alors au droit de la propriété intellectuelle ?
Nous verrons ci-après :
- Que la protection n’est pas systématique (1) ;
- Et qu’il faut distinguer le cas du réemploi (2), du reconditionnement (3) et de l’upcycling (4).
1 – Rappel – les luminaires ne sont pas systématiquement protégés par le droit de propriété intellectuelle
Il convient de souligner à titre liminaire qu’une œuvre n’est protégée que si elle remplit deux conditions : elle doit être concrétisée (1) et originale (2) (art. L112-4 CPI).
Pour apprécier l’originalité, il convient de prendre en compte « l’ensemble des caractéristiques dont la combinaison fonde l’originalité de l’œuvre »[1].
Cette dernière condition donne souvent lieu à débat en cas de contentieux, notamment s’agissant des lampes. On citera à titre d’illustration récente un cas dans lequel la Cour d’Appel de Paris a reconnu l’existence d’un droit de propriété intellectuelle sur un modèle de luminaire dans un arrêt du 16 juin 2017, au motif que ce dernier « qui comporte des proportions, formes, composition et combinaison d’éléments particuliers (…), qui lui confèrent un aspect esthétique propre et original reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur doit donc bénéficier de la protection au titre du livre 1 du Code de la Propriété Intellectuelle ».
Si le luminaire est effectivement protégé par le droit de la propriété intellectuelle, l’auteur de cette œuvre disposera de droits moraux[2] et patrimoniaux[3].
Cela signifie-t-il que le luminaire ne peut être revendu ou modifié qu’avec l’accord du titulaire de ces droits ?
2 – Propriété intellectuelle et réemploi de luminaires
Pour rappel, le droit français définit le réemploi comme « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus » (art. L541-1-1 code environnement).
C’est l’hypothèse la plus simple : revente de biens d’occasion en l’état ou le réemploi de luminaires directement sur le site où ils étaient présents après rénovation.
En la matière, le droit est simple :
Dès lors que le produit d’origine a été mis sur le marché de l’Union européenne avec l’accord du titulaire du droit de propriété intellectuelle, celui-ci ne peut plus, en principe, s’opposer à la revente ultérieure de ce produit (art. L713-4 CPI).
On parle à ce titre du principe d’épuisement des droits qui garantit l’existence d’un marché de la seconde main au sein de l’UE.
Ce principe souffre évidemment des exceptions (ex : le cas de la distribution sélective, mais rare en pratique), mais surtout des modérations qu’on retrouve ci-après.
💡A retenir : réemploi des luminaires ➡️ pas de risque juridique significatif en matière de propriété intellectuelle. |
3 – Propriété intellectuelle et reconditionnement ou réparation de luminaires
Rappelons d’abord ce que le droit entend par « reconditionnement ».
Un luminaire est dit « reconditionné » dès lors que les conditions suivantes sont réunies :
- « 1° Le produit ou la pièce détachée a subi des tests portant sur toutes ses fonctionnalités afin d’établir qu’il répond aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre ;
- « 2° S’il y avait lieu, le produit ou la pièce détachée a subi une ou plusieurs interventions afin de lui restituer ses fonctionnalités. (…) »[1].
Comme vu précédemment, lorsque le produit d’origine a été mis sur le marché de l’Union européenne avec l’accord du titulaire du droit de propriété intellectuelle, celui-ci ne peut plus, en principe, s’opposer à la revente ultérieure de ce produit. Toutefois, la faculté reste alors ouverte au titulaire de la marque de s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits (art. L713-4 CPI).
La jurisprudence est également venue préciser les exigences applicables en cas de reconditionnement.
La CJCE, dans son arrêt rendu le 23 avril 2002 au sujet du reconditionnement de médicaments, s’appuie sur l’article 7 de la première directive 89/104 sur les marques et énonce que le reconditionnement ne doit pas affecter l’état d’origine du produit ou nuire à la réputation de la marque de ce produit.
Les luminaires sont souvent réparés voire reconditionnés afin de modifier la source lumineuse et de mettre le système électrique aux normes actuelles.
Selon l’impact de cette modification sur la composition et l’esthétique du luminaire et surtout en fonction du volume de luminaires reconditionnés, il peut être utile de se rapprocher du titulaire des droits initiaux pour nouer un partenariat afin d’éviter un éventuel litige et une réclamation par la suite.
💡A retenir : reconditionnement / réparation de luminaire ➡️ risque juridique à évaluer en fonction des modifications apportées et du volume de luminaires traités. Pas de risque significatif si l’opération n’a aucun impact visible sur le luminaire. |
🔎Quel droit d’accès aux pièces détachées pour les luminaires ? Depuis le 1er janvier 2022, les fabricants ont désormais l’obligation légale de fournir les pièces détachées aux réparateurs et reconditionneurs pendant la période de commercialisation du modèle concerné ainsi que pendant une période minimale complémentaire après la date de mise sur le marché de la dernière unité de ce modèle, cette période complémentaire ne pouvant pas être inférieure à cinq ans. Néanmoins cette obligation concerne essentiellement les équipements électroménagers, de petits équipements informatiques et de télécommunications, d’écrans et de moniteur, etc. et depuis le 1er janvier 2023 les outils de bricolage et jardinage, articles de sport et loisirs. Cependant les luminaires ne sont à ce jour pas concernés par l’obligation de disponibilité des pièces détachées. Dans les secteurs non concernés par cette obligation, le fabricant n’est tenu de fournir les pièces détachées que s’il délivre au vendeur professionnel, réparateurs ou reconditionneurs l’information suivant laquelle elles sont disponibles (art. L111-4 code consommation). |
4 – Upcycling
On parle d’upcycling ou « surcyclage » pour désigner le fait de récupérer des matériaux dont on n’a plus l’usage pour en faire des objets ou produits de qualité ou utilité supérieure en détournant leur usage initial avant de fabriquer un nouveau produit[2]. Il n’y a pas de définition légale donnée à cette pratique à ce jour.
Selon les cas, elle relève de la prévention des déchets ou de la valorisation (voir sur ce point notre infographie pour déterminer le régime juridique applicable au titre du code de l’environnement : cliquez ici).
Contrairement au reconditionnement qui ne vise que des modifications techniques du luminaire, l’upcycling aura bel et bien pour objet une modification de l’esthétique.
Dans ce cas, comme vu précédemment, l’article L713-4 du CPI prévoit que « le propriétaire de la marque peut s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes tenant notamment à la modification ou à l’altération des produits intervenus ultérieurement ».
Les rares jurisprudences actuelles en matière d’upcycling concernent le secteur du textile et la réutilisation de tissus intégrant des motifs originaux de grandes marques de luxe.
La prudence s’impose en la matière s’agissant des modèles de luminaires les plus design et les plus reconnaissables, dont les créateurs pourraient contester les œuvres upcyclés qui selon eux méconnaitraient notamment le droit au respect de l’œuvre.
De plus, la revente de produits de marque upcyclés pourrait s’analyser comme un acte de concurrence déloyale ou encore du parasitisme (i.e. l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis[3]).
Dans le cas de l’upcycling il est donc conseillé afin de réduire les risques liés au droit de la propriété intellectuelle :
- ✅ OPTION 1 – Eviter toute réutilisation d’éléments distinctifs et particuliers faisant probablement l’objet d’une protection spécifique (ex : logo ou marque, motif originaux, totalité des éléments composants le luminaire, etc.) ;
- ✅ OPTION 2 – Informer les clients sur l’origine du luminaire upcyclé, et s’il contient des éléments clairement identifiables, rappeler qu’il ne s’agit pas d’un produit de cette marque.
Comme dans le cas du reconditionnement, si vous développez un modèle upcyclé à partir d’un modèle existant et que des volumes importants sont concernés, il est vivement conseillé de se rapprocher des titulaires initiaux des droits de propriété intellectuelle pour travailler sur une offre conjointe plutôt que de risquer des contentieux importants par la suite.
💡A retenir : 🟢Réemploi des luminaires ➡️ pas de risque juridique significatif en matière de propriété intellectuelle. 🟠Reconditionnement / réparation de luminaires ➡️ risque juridique à évaluer en fonction des modifications apportées et du volume de luminaires traités. 🔴Upcycling de luminaire ➡️ risque juridique en termes de P.I – à préciser en fonction du modèle et des volumes concernés. |
Vous avez des questions au sujet d’un projet de réemploi de luminaires ou sur cet article ? N’hésitez pas à nous contacter à l’email contact@skovavocats.fr
[1] Cass. 1re civ., 7 oct. 2020, n° 19-11.258. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CASS/2020/JURITEXT000042438752
[2] art. L121-1 code de la propriété intellectuelle (CPI) – les droits moraux vise à protéger la personnalité de l’auteur à travers son œuvre : « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. »
[3] art. L122-1 CPI – les droits patrimoniaux visent à autoriser des modes d’utilisation de l’œuvre par des tiers et à l’auteur de percevoir une rémunération en contrepartie :
« Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. ». A la différence des droits moraux ces derniers ont une date limitée et tombent dans le domaine public au-delà de 70 ans suivant l’année du décès de l’auteur.
[4] Décret n° 2022-190 du 17 février 2022 relatif aux conditions d’utilisation des termes « reconditionné » et « produit reconditionné » qui est venu apporter une définition légale au terme « reconditionné ».
[5]https://www.cci.fr/actualites/lupcycling-cest-quoi
[6]Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 10 juillet 2018, 16-23.694
Photo : Pexels – Photo de Abdulla Bin Talib: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/lumieres-nature-morte-design-interieur-fond-d-ecran-4k-4755949/