Prescrire la mise en place d’une filière de réemploi/ valorisation dans un marché public : une mauvaise rédaction peut vous coûter très cher !

TA Marseille, 3e ch., 27 févr. 2025, n° 2103812.
Une jurisprudence qui permet d’apprécier à quel point la rédaction d’un marché n’est pas à bâcler en cinq minutes avant de partir en congés… Notamment sur les sujets d’économie circulaire !
Petit retour en arrière (20 ans tout de même !) la commune d’Aix-en-Provence (ci-après la MOA) avait attribué fin 2005 un marché de conception-réalisation d’une « unité de traitement par oxydation par voies humides (OVH) des boues issues du traitement des eaux usées par une station d’épuration ».
Grosso modo il s’agit d’une installation mettant en œuvre un procédé de traitement des boues d’épuration – plus vertueux que des solutions d’élimination-, et à l’issue duquel on retrouve notamment un résidu solide / minéral, appelé « technosable »

A l’issue du chantier, la MOA se plaint de désordre lié à l’absence de mise en place d’une filière de valorisation des technosables.
Deux versions s’affrontent : celle de la MOA publique, et celle de l’entreprise.
La version du MOA publique :
— la société a commis une faute en ne mettant pas en place une filière de valorisation des technosables :
➡️ en vertu des dispositions du contrat, elle s’était engagée à étudier la filière de valorisation des technosables la plus pertinente, en conformité avec les exigences contractuelles ;
➡️elle était tenue par une obligation de résultat consistant à garantir effectivement au maître d’ouvrage la valorisation des technosables et à l’accompagner dans la mise en œuvre de cette filière ;
➡️ sa proposition de mise en place d’une filière de valorisation « matière » en Allemagne (valorisation des résidus minéraux en couverture d’anciennes carrières) ne répondait pas à l’exécution de ses obligations contractuelles dès lors que la solution proposée était provisoire et aux frais de la maîtrise d’ouvrage.
Elle demande 3 917 759 d’euros au titre du préjudice résultant de l’absence de mise en place d’une filière de valorisation des technosables (le détail de ce montant n’est pas évoqué dans la décision, on imagine qu’il s’agit du montant lié à l’évacuation des résidus vers des filières d’élimination sur plusieurs années) 😶
La version de l’entreprise :
— elle n’est pas responsable de l’absence de mise en place d’une filière de valorisation des technosables :
➡️ elle a respecté l’obligation de moyen qui lui incombait consistant à garantir au maître d’ouvrage des technosables valorisables, à accomplir l’ensemble des diligences pour identifier une filière permettant leur valorisation et, dans cette attente, à assurer leur élimination à ses frais ;
➡️ elle n’était pas tenue d’assurer le traitement des technosables ni de fournir un accompagnement technique et financier au maître d’ouvrage jusqu’à l’obtention des autorisations administratives pour valorisation du résidu minéral.
Et pour trancher, le juge va se plonger dans le marché, pour voir CE QUE DIT LE CONTRAT.
Et voilà ce qu’il constate ⬇️
Cahier des garanties souscrites | « L’Entrepreneur garantit la compatibilité du résidu minéral avec les normes (NF P 11-300 et NF P 98-331) pour une réutilisation en technique routière ou en remblai de pose de réseaux. / L’Entrepreneur s’engage à mener les démarches, études et analyses nécessaires pour démontrer la réemployabilité du résidu minéral, suivant notamment un plan d’action joint au Marché. / Pendant cette phase, et ce jusqu’à la mise en place opérationnelle d’une filière de valorisation, l’Entrepreneur assure l’évacuation et l’élimination du résidu minéral produit sur site ». |
CCTP | « L’objectif de cette filière est d’obtenir, par un procédé alternatif à l’incinération des boues, un résidu minéral inerte valorisable en technique routière ou en remblais ». « Une fois le résidu minéral déshydraté obtenu, l’Entrepreneur met en œuvre tous les équipements nécessaires (manutention, compactage, broyage, rinçage, etc) afin de pouvoir réutiliser le résidu minéral (). / L’Entrepreneur prend en charge toutes les démarches et analyses nécessaires pour démontrer la ré-employabilité du produit ». |
Mémoire technique (note méthodologique) | « Conformément aux prescriptions du Programme Fonctionnel Détaillé, l’Entreprise effectuera l’ensemble des démarches et analyses permettant de démontrer la ré-employabilité du technosable produit sur le site de la Pioline. / La Collectivité disposera, sur la base de la charge moyenne annuelle (200 t de technosable par an) d’un matériau minéral et inerte, valorisable dans le cadre des travaux de remblaiement de tranchées » |
Le Tribunal considère qu’il résulte de ces stipulations que l’entreprise s’est seulement engagée, dans le cadre du contrat :
☑️ à ce que les « technosables » soient conformes aux normes en vigueur,
☑️ à mettre en œuvre les équipements nécessaires à leur réutilisation
☑️ et, enfin, à mener les démarches et analyses nécessaires pour démontrer leur ré-employabilité.
=> L’entreprise n’était donc pas tenue par les termes du contrat d’aboutir à la mise en place effective d’une filière de valorisation de ces résidus.
Le juge vérifie ensuite que l’enterprise a respecté tous ces engagements, et il s’avère que oui !
Donc pas de faute… et pas d’indemnisation pour la MOA !
En conclusion :
L’affaire n’est probablement pas terminée (il ne s’agit que d’une décision de première instance).
On relèvera que si un AMO a été chargé de rédiger ce marché, sa responsabilité pourrait également être recherchée par la MOA si son préjudice est bien réel, et qu’il trouve sa cause dans une mauvaise rédaction du marché alors que l’intention de la MOA était bien la mise en place d’une filière de valorisation.