Obligation précontractuelle d’information : vous pensiez avoir tout compris ? Un nouvel arrêt de la Cour de cassation vient rebattre les cartes.
L’arrêt du 14 mai 2025 [1] nous donne occasion de faire le point et de rappeler les conditions de cette obligation.
Toutes les parties à un contrat sont tenues à une obligation précontractuelle d’information[2] envers leurs futurs cocontractants.
QUAND ?
Cette obligation est due avant la conclusion du contrat, dans le cadre des discussions précontractuelles. Elle couvre donc les informations que vous fournissez ou que vous recevez au moment des négociations.
Le point juridique + « obligations d’information plurielles » :
Cette obligation peut coexister avec plusieurs autres obligations d’information qui relèvent d’autres régimes, comme :
- les obligations précontractuelles prévues par le droit de la consommation, en cas de contrat conclu entre un professionnel et un particulier,
 - le devoir de conseil et l’obligation d’information du vendeur ou du prestataire de service.
 
QUI ?
Toutes les parties sont concernées, il s’agit d’une obligation mutuelle, qui n’a pas réservée à une seule partie.
Le point juridique + « charge de la preuve » : La partie qui prétend qu’une information lui est due doit le prouver (elle a donc la charge d’établir que toutes les conditions que l’on présente dans cet article sont réunies).
Symétriquement, c’est à l’autre partie de prouver que cette information a été fournie.
QUOI ?
Le périmètre de l’obligation précontractuelle d’information est bien délimité et n’est pas soumis à des règles précises (et en ce sens, cette obligation est plus facile à satisfaire que d’autres obligations du même type, comme l’obligation d’information dans le cadre d’un contrat entre un professionnel et un particulier).
- Une information connue d’une partie…
 
Il s’agit d’abord des informations que l’on détient. On ne peut pas fournir une information qu’on n’a pas.
Le point juridique + « Devoir de renseignement » : Contrairement à l’obligation d’information du vendeur, aucune partie n’a, au titre de l’obligation précontractuelle d’information, l’obligation de se renseigner sur ce que l’autre partie considère déterminant.
- … et ignorée de l’autre…
 
Deux cas possibles :
| L’autre partie doit ignorer légitimement cette information. Par exemple, il n’y a pas d’ignorance légitime lorsque l’information se déduit des documents contractuels[3] ou lorsque du fait de ses compétences et positions, la partie devait nécessairement connaître l’information[4]. | L’autre partie fait légitimement confiance à son contractant. Par exemple, en cas de relation commerciale établie, lorsque l’information était systématiquement fournie dans le cadre des négociations précédentes et qu’elle ne l’est subitement plus. Dans ce cas, la partie faisait légitimement confiance à son cocontractant pour lui fournir cette information. | 
- … déterminante pour son consentement
 
C’est là que ça se complique.
Concrètement, il s’agit des informations qui permettent à cette partie de décider si elle souhaite conclure ou non le contrat (par exemple dans le cas d’une vente : le prix, les délais de livraison ou l’éventuelle garantie commerciale).
Le point juridique + « Evolution jurisprudentielle » :
Avant l’arrêt de mai 2025, la doctrine et la jurisprudence considéraient que toutes les informations ayant un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties étaient des conditions déterminantes (plus d’explications en note de bas de page pour les plus motivés[5]).
Il suffisait donc d’établir que l’information avait un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat pour prouver qu’elle était déterminante.
Depuis l’arrêt de mai 2025 et la nouvelle interprétation de la Cour de cassation, il faut désormais procéder en deux temps et prouver cumulativement que :
1 – l’information a un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties
- C’est un critère objectif (on fixe le périmètre de l’obligation)
 
Exemples :
| Mise à disposition d’une machine dans le cadre d’une synergie EIT | Vente de matériaux de réemploi | Prestation de service AMO | |
| Lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat (outre les éléments financiers tels que le prix ou les garanties) | les restrictions d’utilisationles obligations de formationla conformité de la machine… | le caractère réemployable ou non des matériauxles usages antérieursles opérations de préparation au réemploi réalisées | le contenu de la mission la sous-traitance les partenaires certificateurs | 
| Lien direct et nécessaire avec la qualité des parties | la qualité de propriétaire de la machine, la compétence du formateur | la qualité de propriétaire des matériaux | les compétences techniques du prestataire en matière de réemploi ou de déconstruction sélective, les certifications ou labels détenus, l’expérience antérieure dans des projets similaires(pour le prestataire) la capacité de paiement | 
Au contraire, la stratégie commerciale, les projets futurs d’un fournisseur ou la situation financière d’un prestataire de service n’a pas de lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat[6].
ET
2 – elle est déterminante pour le consentement de la partie concernée, c’est-à-dire qu’elle va conduire la partie à conclure le contrat, le renégocier ou le refuser (et comme dit précédemment, il appartient à celle-ci de le faire savoir à l’autre partie)
- C’est un critère subjectif.
 
Le caractère déterminant d’une information dépend des circonstances particulières entourant la conclusion du contrat. Ainsi, dans certains cas, une information sera déterminante du consentement et dans d’autres non.
Exemple : Vente de matériaux de réemploi – pour l’acquéreur, l’information relative au caractère réemployable des matériaux sera déterminante de son consentement. En revanche, l’information relative au caractère recyclable ou biosourcé des matériaux ne le sera pas (bien que cette information soit en lien avec le contenu du contrat).
COMMENT ?
Les informations peuvent être transmises par tous moyens. Toutefois, seul l’écrit contre accusé de réception à une valeur probante.
Exemple : des échanges d’email, des remises d’informations et documents contre signature ou annexés au contrat…
ATTENTION
Une violation de cette obligation peut conduire[7] :
- à la nullité du contrat,
 - à des dommages et intérêts pour celui-ci qui n’a pas fourni les informations déterminantes,
 - à un contrat que perd de son intérêt ou complique l’exécution du contrat pour les deux parties si, en raison du défaut d’information, le bien ou le service n’est pas satisfaisant
 
EN PRATIQUE
Que vous sollicitiez ou fournissiez des informations : soyez exhaustifs !
| Sollicitez les informations | Fournissez les informations | 
| Ayez conscience que sous l’empire de la nouvelle jurisprudence, toutes les informations ne sont pas couvertes par cette obligation : seules celles qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu contrat ou la qualité des parties le sont. Vous ne pourrez donc pas reprocher à votre cocontractant de ne pas vous avoir fourni des informations qui n’entrent pas dans ce périmètre.    Conseil n°1 : Exposez votre besoin en détails Expliquez les raisons de votre engagement Mise à disposition d’une presse à balles : réduction du coût de traitement des déchets cartons Vente de matériaux de réemploi : projet de rénovation ou de construction labélisée Prestation de service type AMO : répondre à une obligation réglementaire relative aux déchets) Décrivez les caractéristiques recherchées des biens et/ou services que vous comptez acheter / louer, etc. Mise à disposition d’une presse à balles : capacités de la machine, taille des balles Vente de matériaux de réemploi : nature, provenance ou performance des matériaux ; durabilité, compatibilité ou traçabilité des services ou produits proposés Prestation de service type AMO : diagnostic ressources, recherche d’acquéreurs pour les matériaux réemployables… Conseil n°2 : Vérifiez tous les documents contractuels et informations fournies (des informations déterminantes peuvent s’y cacher). Conseil n°3 : Sollicitez toute information complémentaire auprès de l’autre partie.  |   Sous l’empire de la nouvelle jurisprudence, vous n’êtes pas tenus de fournir des informations qui n’ont pas de lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.          Conseil général : Fournissez les informations par écrit et conservez une preuve de la transmission. Conseil n°1 : Identifiez et fournissez les informations sur votre situation ou votre projet Mise à disposition d’une presse à balles : objectifs quantifiés Vente de matériaux de réemploi : contraintes techniques Prestation de service type AMO : délais d’exécution Conseil n°2 : Documentez Fournissez tous les documents à votre disposition Mise à disposition d’une presse à balles : certificats de conformité, notice d’utilisation Vente de matériaux de réemploi : fiches techniques, historique d’usage Conseil n°3 : Précisez les exigences particulières liées à la qualité ou à la conformité du bien ou service (ex. : normes environnementales, labels requis, conditions de livraison). Mise à disposition d’une presse à balles : conformité des balles aux exigences du collecteur de déchets Vente de matériaux de réemploi : label bâtiment Conseil n°4 : Si vous êtes vendeur ou prestataire de service, fournissez évidemment toutes les informations liées à vos produits et/ou prestations (ex. vous pouvez vous inspirer des exigences fixées par le code de la consommation)  | 
[1] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 14 mai 2025, 23-17.948 23-18.049 23-18.082, Publié au bulletin
[2] Article 1112-1 du Code civil.
[3] TJ Nanterre, 2e ch., 4 sept. 2025, n° 21/08115
[4] CA Bordeaux, 1re ch. civ., 5 déc. 2024, n° 21/03714
[5] La rédaction du texte législatif prête effectivement à confusion (article 1112-1 du Code civil) : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. (…) Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »
Le fait que le caractère déterminant d’une obligation découle de son lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties était d’ailleurs explicitement :
- L’intention des rédacteurs du texte : Le rapport au Président de la République est explicite et précise : « la notion d’information déterminante étant définie à l’alinéa 3 »,
 - Et la compréhension du Parlement :
- Selon le rapport du Sénat : L’« importance déterminante » des informations est expressément définie comme résultant du « lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties »,
 
- Selon le rapport de l’Assemblée Nationale : cette importance étant définie comme résultant d’« un lien direct et nécessaire avec le contenu ou la qualité des parties ».
 
 
La Cour de cassation a pourtant décidé de limiter cette obligation et d’éviter qu’en pratique, ce texte ne pose une présomption de « caractère déterminant » quasiment impossible à renverser.
[6] TJ Rennes, 1re ch. civ., 7 oct. 2025, n° 24/06568.
