La question
J’ai suivi un webinair organisé par la Mutuelle des Architectes Français (MAF, 1er assureur des architectes), sur l’aspect assurantiel des matériaux de réemploi. La retranscription de ce webinair est consultable sur le lien :
https://www.maf.fr/actualite/les-biosources-et-le-reemploi-lepreuve-des-assurances
Cet assureur prend l’exemple du réemploi des radiateurs et indique que : « le réemploi de radiateurs qui s’avèrent, ultérieurement à leur nouvelle mise en œuvre, fuyards et génèrent un dommage : par le biais de l’impropriété à destination, le dommage relève de la garantie décennale (sans qu’il y ait une possibilité de rechercher la responsabilité du fabricant).«
Il me semble que cet exemple est très exagéré (rendre impropre à l’usage un bâtiment parce qu’un radiateur est fuyard…) et sous-entend presque que le réemploi génère des risques supplémentaires en cas de dommage. Est-ce le cas ?
Pouvez-vous m’apporter votre avis d’expert sur cet exemple ?
Merci par avance
Notre réponse :
Il convient de répondre en deux temps :
- La défectuosité d’un radiateur peut-elle conduire à un sinistre décennal ?
- Le caractère d’occasion du radiateur induit-il des risques supplémentaires pour les acteurs de la construction et les maîtres d’ouvrage et de réduction du droit à indemnisation de ce dernier en cas de désordres ?
1 – Radiateur et garantie des constructeurs
A titre liminaire, afin qu’un recours contre les constructeurs (et notamment l’entreprise de pose) soit envisageable et envisagé, dans la pratique il faut :
- Que des fuites se produisent sur l’ensemble des radiateurs (ou la quasi-totalité d’entre eux) ;
- Que les « dommages » qu’ils provoquent présentent un certain degré de gravité (impossibilité de chauffer l’immeuble) [1].
En effet les dysfonctionnements d’une installation de chauffage ne sont de nature à entraîner la responsabilité décennale que s’ils compromettent (art. 1792 c. civ.) :
1° la solidité de l’ouvrage :
Il n’y a logiquement pas de jurisprudence existante à ce jour pour des « radiateurs fuyards ». Pour causer des désordres d’une telle ampleur, l’origine du désordre serait logiquement liée aux travaux de plomberie et non à la défectuosité du produit (la défectuosité d’un radiateur n’étant pas de nature à provoquer des fuites d’eau graves pouvant affecter la structure de la construction).
2° la destination de l’ouvrage :
Sur ce dernier point, la jurisprudence considère que : « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non de l’ouvrage, relèvent de la responsabilité décennale, s’ils rendent l’ouvrage en son ensemble impropre à sa destination » [2].
En cas de désordres affectant des équipements et installations de chauffage, le juge va donc rechercher si ces désordres conduisent[3] :
- A une absence ou à une insuffisance caractérisée de chauffage rendant les locaux inhabitables ;
- Ou encore à la mise en danger des occupants de la maison.
C’est donc ensuite une question essentiellement de fait et d’appréciation de la gravité des désordres, qui relève de l’expert puis du juge.
Les décisions relatives à des « radiateurs fuyards » sont rarissimes (ce sont généralement des installations plus onéreuses qui sont mises en cause, telles que des pompes à chaleur[4] ou des systèmes de chauffage complexes).
On notera néanmoins en 2019 une décision de la Cour d’appel de Bordeaux sur le sujet.
Dans cette affaire, la totalité des radiateurs en fonte et en acier installés dans la résidence d’un particulier présentaient des fuites sur les joints d’étanchéité des éléments, en raison d’un dosage insuffisant du liquide antigel injecté dans l’installation, ayant entraîné une corrosion importante au niveau des joints de tous les radiateurs, et des micro-fuites du mélange eau/antigel, générant des taches sur le sol sous les radiateurs.
Le juge rappelle que : « les désordres affectant des éléments d’équipement telle qu’une installation de chauffage central, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination » mais considère qu’en l’espèce, il n’y a pas de dommage de nature décennale puisque l’expert a pu constater que les désordres n’affectaient pas le fonctionnement du chauffage et ne menaçaient pas la sécurité de l’immeuble (CA Bordeaux, 1re ch. civ., 20 déc. 2019, n° 18/00299).
En revanche, dans un tel cas, la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur ayant procédé à la pose et du vendeur ayant fourni les équipements peut logiquement être recherchée pour faute dans un délai de 5 ans.
En conclusion : la première affirmation selon laquelle des « radiateurs fuyards » peuvent causer des désordres de nature décennale, si elle est théoriquement exacte, n’est confirmée par aucune jurisprudence d’espèce à ce jour à notre connaissance.
2 – Réemploi et droit à indemnisation des assurés
On rappellera que si le sinistre est de nature décennale, ce sont les constructeurs, c’est-à-dire les entreprises de travaux et les maîtres d’œuvre qui sont tenus à garantie (et leurs assureurs qui les subrogent), et non les fabricants ou les vendeurs des radiateurs.
A ce titre :
- S’agissant du maître d’ouvrage :
Il a d’ores et déjà été jugé que « le recours à des appareils (et pièces) d’occasion n’est pas de nature à priver le maître d’ouvrage de son droit à la réparation intégrale de son préjudice matériel », et que dans ce cadre la reprise des désordres peut impliquer le remplacement intégral des installations par des matériels neufs (CA, Limoges, Ch. Civ. 4 mai 2023, n° 22/00358).
D’autres exemples sont disponibles dans la jurisprudence :
- Condamnation de l’entreprise de travaux à la réfection intégrale de la toiture avec emploi de tuiles nouvelles alors que les travaux réalisés initialement (et ayant occasionné les désordres) avaient été réalisés conformément au cahier des charges avec le réemploi des tuiles existantes (CA Paris, Pôle 4 Ch. 5, 22 février 2023, n° 18/28211) ;
- Condamnation d’un architecte et d’une entreprise de travaux pour la pose d’une poutre maîtresse de réemploi déformée comme structure porteuse d’un plancher aux travaux nécessaires à la reprise des désordres (CA Angers, Ch.civ, 24 avril 2018, n° 16/00144).
On soulignera en outre que ces décisions ne retiennent aucune exclusion de garantie des assureurs des constructeurs responsables des dommages au motif que des matériaux de réemploi auraient été utilisés.
- S’agissant de l’assureur :
Il sera tenu de payer les condamnations prononcées contre son assuré. C’est surtout lui qui se retrouve privé d’un éventuel recours récursoire contre un fabricant dans le cas du réemploi, ce qui signifie qu’il devra régler le montant des dommages-intérêts et ne pourra trouver un autre responsable qui paierait la facture finale.
Néanmoins, dans le cas des matériaux reconditionnés, les vendeurs professionnels bénéficient généralement d’une police d’assurance intégrant une garantie post-livraison équivalente à celle d’un fabricant. Par ailleurs certains vendeurs de matériaux de réemploi bénéficient de garanties assurantielles ou commerciales de 2 ans pour les matériaux (réparation ou remplacement), qui peuvent permettre dans la question posée de régler facilement le problème.
En conclusion : la seconde affirmation selon laquelle il n’y a pas de recours contre le fabricant de matériaux de réemploi est sans incidence sur le droit à indemnisation du maître d’ouvrage par l’entreprise ayant réalisé la pose des radiateurs au titre de la garantie décennale.
[1] CA NANCY, 4 sept. 2023, n° 22/00497 : Une pompe à chaleur défectueuse / qui ne chauffe pas correctement (et donc qui fonctionne malgré tout), ne relève pas de la garantie décennale, sauf à démontrer que « le système de chauffage dans sa globalité ne permettait pas de chauffer suffisamment l’immeuble et que celui-ci était ainsi rendu inhabitable ou impropre à sa destination« .
L’expert cité par le juge avait ainsi constaté que « Le désordre n’est pas de nature décennale, la sociétaire parvient à chauffer sa maison », et la juridiction de rappeler qu’à ce titre, « l’installation d’une pompe à chaleur d’une puissance insuffisante au regard des besoins de chauffe, si elle engage la responsabilité civile de l’entrepreneur, n’est pas en l’espèce à l’origine d’un désordre rendant l’ouvrage dans sa globalité impropre à sa destination. »
[2] Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, n° 15-15.441.
[3] Cour d’appel de Paris, Pôle 4 chambre 10, 12 octobre 2023, n° 20/14868
[4] Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, n° 15-15.441.
Les dysfonctionnements d’une pompe à chaleur air/air et d’un ballon d’eau chaude relèvent de la garantie décennale, puisque l’insuffisance de chauffage étant de nature à rendre l’immeuble impropre à sa destination.